La population de Roubaix
|Chapitre VI. La grande faucheuse
Texte intégral
1Comme en matière de natalité, Roubaix se caractérisait par une mortalité élevée ; avant les années révolutionnaires comme au xixe siècle, le spectre de la mort hantait le quotidien de chaque famille et l’espérance de vie restait modeste. Tous, cependant, n’étaient pas égaux devant la mort, femmes et enfants surtout payaient le tribut le plus lourd. A l’évidence, la ville industrielle qu’était Roubaix concentrait nombre de facteurs mortifères.
I. La mort omniprésente
2La mortalité était très élevée à Roubaix, d’autant plus que la cité ne fut pas épargnée par les épidémies au xviiie siècle et encore au xixe et le choléra ne fut pas le moins meurtrier ; mais, même en dehors des surmortalités, la mort hantait les foyers roubaisiens et touchait tous les âges. En effet, à l’instar d’autres villes de l’industrie, Roubaix concentrait nombre de facteurs favorisant ou générant la mort de ses habitants.
Des deuils fréquents
- 1 Au contraire, des enfants trouvés de Lille étaient placés à Roubaix.
3Pour le xviiie siècle, les taux bruts, qui peuvent être minorés du fait de l’enregistrement, ne semblent cependant pas trop sous-estimés, étant donné les résultats obtenus. D’autres indices confirment leur validité : le nombre peu important des jeunes enfants de destin inconnu ayant « disparu » entre la naissance et les recensements du xixe siècle ou la mise en nourrice peu répandue dans la société roubaisienne, même au xviiie siècle, et même dans les milieux les plus aisés1.
4Pour mesurer la mortalité générale au xviiie siècle, il faut se contenter d’une évaluation centrée sur le dénombrement de 1764 (environ 30 ‰) et une estimation pour la fin du siècle (environ 35 ‰). Pour le xixe siècle, le taux brut de mortalité dépassait 30 et même 35 ‰ lorsque la ville traversait une crise, ainsi en 1830-1834, 1845-1849, 1865-1869, 1870-1874, ce qui révèle une très grande sensibilité aux crises démographiques et économiques. Cependant, une tendance à la baisse apparut dans le dernier tiers du siècle, le taux étant alors, sauf situation particulière, inférieur à 30 ‰ et même à 25 ‰ pour les années 1885-1889.
5Ces taux étaient d’autant plus élevés que la population était plutôt jeune, au xixe siècle surtout. Mais le vieillissement, constaté dans la dernière décennie, s’accompagna d’une réduction du taux. La diminution de la mortalité des jeunes et des adultes, consécutive à certains progrès en matière d’hygiène ou de la médecine, associée à une moindre immigration, explique la modification de l’indice de sénilité (l’indice doublant presque entre le Second Empire et le milieu des années 1880, cf. Tableau III.1), la part des personnes âgées de 60 ans et plus ayant elle aussi presque doublé entre 1866 et 1886 (4,2 % et 7 %). Cette baisse de la mortalité est confirmée aussi par le fait que les moins de 20 ans étaient toujours aussi nombreux alors que le taux de natalité et l’indice de fécondité eurent tendance à se réduire en cette fin de siècle.
- 2 M.-P. Buriez-Duriez, 1970.
- 3 J. Dupâquier, 1990.
- 4 La diminution résulta surtout de celle de la mortalité infantile, à la différence de Roubaix, F. Ba (...)
6La mortalité roubaisienne était plus forte que celle du département, pourtant elle-même supérieure à la moyenne française (cf. Graphique VI.1 et Annexes VI.1 et 2)2. A Roubaix, comme dans le Nord, après une première réduction du taux, une nouvelle phase de diminution plus lente apparut dans la deuxième moitié du siècle, mais les taux furent constamment plus élevés à Roubaix, confirmant la surmortalité urbaine3. Plus élevés que ceux du département, les taux de l’arrondissement restèrent cependant inférieurs à ceux de Roubaix jusqu’à la fin du Second Empire. Roubaix serait, en la matière, bien plus proche d’une ville comme Valenciennes où la baisse, très lente pendant la première moitié du siècle, s’accéléra à partir de 1860 (30,9 ‰ pour la période 1856-1860 mais seulement 24,4 ‰ pour 1876-1880)4.
- 5 26,14 ‰ en 1839 et 23,04 en 1843 quand le taux roubaisien était de 29,6 ‰ de 1839 à 1843, R. André, (...)
7Comparée à la France, Roubaix fait également figure d’exception par ses taux bruts bien plus élevés. Toutefois, les écarts, parfois fort importants dans la première moitié du siècle, eurent, ensuite, tendance à se restreindre : l’écart reste dès lors inférieur à sept points, sauf au cours de la période 1865-1869 pendant laquelle Roubaix fut gravement touchée par l’épidémie de choléra. Les taux étaient également supérieurs aux taux belges qui ne diminuèrent réellement qu’à partir de 18755. La comparaison avec les taux urbains britanniques révèle également la difficile condition des Roubaisiens : 25,96 ‰ et 25,1 ‰ pour les villes anglaises et galloises des années 1838-1844 et 1861-1870 mais seulement 24,3 ‰ et 23,64 ‰ pour les villes de moins de 100 000 habitants.
Des saisons pour mourir
8La distribution mensuelle peut être abordée, de manière globale, sur l’ensemble des 116 957 décès enregistrés à Roubaix de 1740 à 1889, puis, à partir du corpus des 11 395 familles (soit 29 573 décès) pour la distribution par groupes d’âges. Les variations, bien connues, de la distribution mensuelle des décès en fonction de l’âge, se retrouvent-elles de la même manière à Roubaix au milieu du xviiie siècle qu’à la fin du xixe siècle ? Les inégalités sociales étaient-elles, dans ce domaine, source de diversité ?
- 6 E. A. Wrigley, R. S. Schofield, 1981.
- 7 Sans 1866, la distribution mensuelle pour la décennie est très régulière et plus conforme à la norm (...)
9L’étude globale montre une concentration des décès pendant la saison froide, de décembre à avril, assez conforme à celle observée dans nombre de paroisses européennes6. Seule la dernière période trentenaire fait exception : à cause du choléra de 1866, les maxima se situent en août et septembre ; il est vrai qu’un cinquième des décès de la décennie fut enregistré pendant la seule année 1866 dont près de la moitié en août et septembre7.
10Quelques différences ressortent de la distribution mensuelle des décès selon l’âge. Pour les décès infantiles, la répartition irrégulière, avec des minima estivaux et une longue saison de novembre à mars avec des indices supérieurs à la moyenne, se maintint jusqu’au milieu du xixe siècle. Seules les années 1860-1889 se singularisent par une pointe de juillet à septembre à cause du choléra de 1866 : 18 % des décédés de cette année avaient moins d’un an. Les mois de juin à août étaient en général moins difficiles, sauf pour les enfants des paysans et des ouvriers textiles mais pour des raisons différentes. Des fluctuations plus importantes affectent la distribution des décès des enfants de 1 à 4 ans, et ce, quel que soit le groupe social : si l’on retrouve pendant les années 1740-1769, la même partition de l’année en deux, du moins est-elle totalement inversée ; les jeunes enfants résistaient moins bien d’avril à juillet. La distribution plus régulière ne concerne que les années 1770-1799 ; par la suite, des maxima plus forts se retrouvent en février-mars. Aucune tendance ne se dégage de la répartition des décès des jeunes de 5 à 19 ans, même si la distribution mensuelle pour la dernière période est, plus que d’autres, influencée par l’épidémie de 1866. De même, les distributions mensuelles établies par groupe social, sont assez semblables, sauf pour la dernière période où le choléra toucha plus les jeunes des deux groupes ouvriers.
11Pour les adultes (20-59 ans), à l’exception de la première période trentenaire où le maximum de septembre provient des années 1760-1769, les décès se concentraient plutôt en hiver (de janvier à mars, voire avril) et ce quelle que soit l’appartenance sociale. Toutefois, le choléra de 1866 modifia la distribution. Quant aux personnes âgées de 60 ans et plus, fort peu nombreuses à mourir pendant la première période (2,4 % du total des décès), leur décès intervenait essentiellement de novembre à mars. Comme les très jeunes enfants, les vieillards, de toute condition, étaient très fragiles et sensibles à toutes les maladies hivernales.
12Au total, c’était donc essentiellement en hiver (au sens large du terme, de novembre à mars-avril) qu’intervenaient les décès, quels que fussent l’âge et la condition sociale.
Une mort sélective
13Une première approche de l’inégalité devant la mort peut se faire à partir de la comparaison entre la répartition des décès du fichier et la structure par âges de la population (cf. Graphique VI.2). Au début comme à la fin du xixe siècle, elle met en évidence une surmortalité des jeunes enfants et des personnes âgées. De plus, pour l’ensemble de la période et pour chacun des cinq groupes d’âges, la répartition des décès montre essentiellement une proportion réduite des décès des 5-19 ans, la mortalité infantile étant légèrement supérieure à celle des 20-59 ans. A l’exception du groupe des 5-19 ans, des différences sociales apparaissent nettement (cf. Graphique VI.3) : dans le groupe de l’élite, la mort choisissait ses victimes parmi les adultes ; en revanche, elle s’emparait des enfants des ouvriers textiles en grand nombre (51,1 % des décès touchaient les enfants avant l’âge de 5 ans) et surtout très tôt (32 % des décès intervenaient avant un an).
14Cependant, la répartition ne fut pas immuable au long des décennies (cf. Graphique VI.4) : la part des enfants de moins d’un an dans le total des décès diminua pendant un siècle, puis augmenta à partir de 1850, pour représenter environ un tiers des décès en 1880-1889, quelle que soit la catégorie sociale.
Graphique VI.2. Répartition des décès selon les groupes d’âges et structure par âges de la population aux recensements

15Au milieu du xviiie siècle, alors que la mortalité infantile était forte, même parmi les catégories supérieures, seuls les enfants de paysans, même de 1 à 4 ans, étaient un peu plus épargnés par la mort. Peut-être une vie plus saine, à l’écart des miasmes du bourg, peut-être aussi une alimentation un peu plus diversifiée préservèrent-elles, en partie, ces enfants pendant toute la deuxième moitié du siècle. Dès 1770-1799, un très fort pourcentage de décès avant le premier anniversaire, mais surtout dans les 5 premières années, caractérisait au contraire les enfants des ouvriers textiles. A partir de 1800-1829, la mortalité infantile vit son poids se réduire notablement pour les groupes terre et élite, alors que les enfants de moins de 5 ans des ouvriers textiles continuaient à payer un lourd tribut à la mort. Pour la dernière période, la mortalité infantile s’aggrava, particulièrement pour les enfants des milieux ouvriers, mais aussi pour ceux des classes moyennes, voire de l’élite. La part des décès de personnes de 60 ans et plus se modifia également de façon importante : en très forte hausse avant la Révolution, le pourcentage augmenta encore sensiblement dans la première moitié du xixe siècle jusqu’à représenter environ un tiers des personnes décédées entre 1840 et 1859 ; mais, par la suite, la tendance s’inversa aux dépens des enfants de moins d’un an essentiellement. A partir de 1830, les personnes des catégories supérieures furent de plus en plus nombreuses à passer le cap du vingtième anniversaire et, parmi les paysans qui ne pâtirent pas de la transformation de Roubaix en ville industrielle, près de 60 % des personnes décédées étaient âgées de 60 ans et plus.
Une espérance de vie réduite
- 8 V. Hugo, « Joyeuse vie », dans Les châtiments.
Presque enfant à vingt ans, déjà vieillard à trente,
Le vivant chaque jour sent la mort pénétrante
S’infiltrer dans ses os.8
- 9 Les estimations ont été calculées à l’aide des tables-types de mortalité de Sully Ledermann, 1969. (...)
- 10 L’amélioration de l’enregistrement des décès est également un facteur à prendre en compte.
16Cette mortalité, élevée mais socialement différenciée, se traduisait par des espérances de vie à la naissance modestes dans l’ensemble (entre 35 et 38 ans pour les générations nées en 1810-1819) et même assez faibles pour certains groupes sociaux9. Il est malheureusement délicat d’estimer l’espérance de vie de populations nées dans la deuxième moitié du xixe siècle. Toutefois, l’impression générale qui prévaut est une stagnation de l’espérance de vie masculine pour les générations nées de 1750 à 177910, une réduction pour celles nées de 1780 à 1799, période particulièrement difficile à Roubaix, et, pour les Roubaisiens nés de 1800 à 1829, une espérance de vie du même ordre que pour ceux nés trente ou cinquante ans plus tôt. L’évolution de l’espérance féminine est marquée par une baisse encore plus importante, d’environ neuf ans, pour les femmes nées entre 1780 et 1799.
17Les inégalités sociales étaient particulièrement flagrantes : quand un marchand-fabricant, né à la fin du xviiie siècle, pouvait espérer vivre près de 42 ans et l’artisan des classes moyennes, 34 ans environ, l’ouvrier textile risquait fort de ne pas fêter son vingt-neuvième anniversaire ; la tendance était la même pour leurs épouses. Pour les générations nées entre 1800 et 1829, l’espérance de vie des hommes de l’élite roubaisienne était d’environ 46 ans, celle des ouvriers textiles de 37 ans, celle des hommes des classes moyennes avait stagné (33 ans).
- 11 Cf. Annexes VI.3 et 4. Les estimations ont été calculées à l’aide des tables-types de mortalité de (...)
- 12 E. A. Wrigley, R. S. Schofield, 1981 et R. Leboutte, 1988.
18Les nombres de survivants et les quotients de mortalité selon la génération illustrent la stabilité de la mortalité et donc de l’espérance de vie au long de la période étudiée11. Les résultats roubaisiens sont assez comparables à ceux obtenus pour l’Angleterre (39,6 ans) et pour la région de Liège (environ 41 ans de vie moyenne en 1846)12.
II. Les femmes et les enfants d’abord
19Toutefois, dans un contexte général de forte mortalité, les nouveaux-nés et leurs mères, les enfants dans leur première année étaient les victimes privilégiées de la « grande faucheuse ».
Surmortalité féminine
- 13 Il est préférable, étant les effectifs particulièrement restreints, de ne pas extrapoler à partir d (...)
- 14 L. Henry, 1987.
20La première approche de la mortalité différentielle selon l’âge et le sexe est basée sur les quotients quinquennaux de mortalité13. Contrairement à la règle14, il y avait à Roubaix, pour le groupe d’âges 20-24 ans, une surmortalité féminine, seules les générations nées en 1740-1749 et 1810-1819 faisaient exception. A partir de 45-49 ans, c’était la surmortalité masculine qui prévalait, surmortalité masculine par maladie après la surmortalité féminine consécutive à la maternité. Pour les générations nées en 1750-1769 et 1820-1839, le renversement de tendance ne se produisit qu’après 50 ans.
- 15 Pour les hommes, le quotient de mortalité à 30-34 ans augmenta à partir de la génération née en 183 (...)
21Les calculs, établis par période trentenaire et par groupe social, font ressortir une surmortalité féminine au xviiie siècle, particulièrement accentuée de 20 à 44 ans. Au xixe siècle, les écarts étaient un peu moins importants, en raison d’une diminution de la surmortalité liée à la grossesse et à l’accouchement dans la deuxième moitié du siècle et ainsi que des fluctuations de la mortalité masculine15. Toutes les femmes, quelle que fût leur condition, étaient touchées : les seules nuances concernaient l’intensité de cette surmortalité et éventuellement le dernier groupe d’âges atteint par le phénomène ; encore y avait-il une très grande variabilité selon les périodes.
- 16 A Rouen, pour la période 1640-1800, il était de 11 ‰, J.-P. Bardet, 1983. Pour un nombre moyen de n (...)
- 17 Les décès consécutifs à une fausse couche ou aux manœuvres abortives nous échappent totalement. Or, (...)
22A l’origine de la surmortalité féminine, la mortalité maternelle consécutive à l’accouchement est étudiée à partir du destin des femmes dans le délai de 60 jours après la naissance. De 1740 à 1889, le risque de mourir fut de 9 ‰ à chaque accouchement, ce qui n’est pas spécialement élevé16. Il ne s’agit que d’une estimation minimale, surtout pour les périodes où l’enregistrement des morts-nés n’était pas très satisfaisant17. Toutefois, ce taux fluctua selon les périodes de mariage, diminuant de près de la moitié entre la première et la troisième période trentenaire (11,67 à 6,29 pour 1800-1829), avant d’augmenter (8,87 et même 9,6 pour la dernière période).
23La mortalité maternelle, calculée selon la période de naissance des enfants (cf. Graphique VI.5), suivit la même tendance, sauf curieusement pour les années 1840-1849 ; elle fut bien plus influencée par le choléra de 1866 (qui expliquait en partie le maximum enregistré pour la décennie de mariage 1840-1849). Lors des trois grandes épidémies, le choléra de 1832, 1849 et 1866, le taux de mortalité maternelle s’accrut nettement par rapport aux moyennes décennales.
Graphique VI.5. Évolution de la mortalité maternelle à Roubaix par décennie de naissance de l’enfant

- 18 Elle était la fille du fabricant Wibaux-Parent, cf. figure 6.
24Aucune femme n’était à l’abri, ni les plus jeunes, ni même les plus riches : le 15 octobre 1871, Marie Catherine Wibaux, sans profession18, épouse de Louis Legrand, propriétaire, donnait naissance à son troisième enfant et mourait sept jours plus tard, le jour même de ses 24 ans. Achille Wibaux, l’oncle de Marie Catherine, n’eut guère plus de chances : si rien n’indique la cause du décès de sa première épouse, Augustine Pennel, morte à l’âge de 25 ans, en revanche Cécile Vernier, sa deuxième épouse, décéda à l’âge de 36 ans, un mois seulement après avoir mis au monde son septième enfant et il est fort probable que les deux événements étaient liés. Cependant, en particulier pour les femmes mariées à la fin du xixe siècle, le taux de mortalité maternelle variait notablement selon l’appartenance sociale, 6,4 ‰ pour les femmes de l’élite, 6,35 ‰ pour celles des classes moyennes mais 9,2 ‰ pour les femmes d’ouvriers et même 10,5 ‰ pour les femmes des ouvriers textiles.
- 19 Le risque était donc accru lorsque la mère avait souffert de rachitisme pendant son enfance. Un tel (...)
- 20 Aucune des 490 parturientes âgées de moins de 20 ans ne décéda dans le délai de 60 jours.
25Les facteurs différentiels de la mortalité maternelle tenaient plus encore au rang de la naissance, à l’âge de la mère à la maternité et au risque accru lors de naissances gémellaires. Les fluctuations de la mortalité en fonction du rang de naissance ne sont, en général, pas négligeables : le premier accouchement pouvait se révéler mortel en raison de l’étroitesse du bassin de la mère19. Mais l’accumulation des grossesses fragilisait aussi les femmes. Aussi, sur les cent cinquante ans étudiés, le risque n’était-il pas beaucoup plus important pour une primipare que pour une multipare (9,13 contre 8,76 ‰). Il est impossible de fixer un seuil à partir duquel le risque commencerait à augmenter, tant les taux sont fluctuants. Il est vrai que les femmes les plus résistantes furent également celles qui mirent le plus d’enfants au monde, la « sélection naturelle » ayant fait disparaître les plus faibles dès la première naissance, venant en quelque sorte contrebalancer les effets des grossesses répétées. D’autres facteurs étaient bien plus déterminants comme l’âge de la mère à la naissance : l’état de santé de la mère, son épuisement physique consécutif aux grossesses précédentes réduisaient sa capacité de résistance. Les jeunes mères (20 à 24 ans) couraient un danger presque deux fois moins élevé que leurs aînées âgées de 35 à 39 ans, la proportion de décès augmentant régulièrement jusqu’à 35-39 ans, voire 40-44 ans comme pour les femmes du groupe terre mariées un peu plus tard20. Cette aggravation du risque n’épargnait personne, mais dans des proportions différentes. Pour les femmes des classes moyennes qui accouchaient entre 20 et 34 ans, le risque était de 6,3 ‰, contre 7,9 pour celles du secteur textile. Cet écart était même plus grand pour la dernière période : 6,2 contre 9,9 ‰. Quant aux femmes accouchant à 35 ans et plus, les taux étaient respectivement de 8 et 12,3 ‰. Cette différence confirme que, quel qu’ait été son âge, la parturiente appartenant aux classes moyennes survivait plus souvent, même à la fin du siècle.
26Si la mortalité maternelle des femmes mariées de 1860 à 1889 était plus importante que pour celles unies dans la période précédente, cette augmentation résulta essentiellement de celle de la mortalité des mères âgées de 20 à 34 ans. Cela ne pouvait être la conséquence d’une réduction de l’âge au mariage qui aurait accru le nombre de grossesses possibles puisqu’alors les répercussions auraient également concerné les femmes âgées de 35 ans et plus ; il semble donc que cela traduise plutôt la dégradation de l’état de santé des jeunes femmes, liée à l’essor du travail en usine, réduisant leurs chances de survie lors de la délivrance, ainsi que le développement très progressif de l’accouchement à l’hôpital.
- 21 Certains observateurs mettaient en avant le fait que les garçons, plus gros à la naissance, étaient (...)
27Les naissances multiples, gémellaires dans la plupart des cas, doublaient le risque pour la mère : le taux de mortalité était de 8,7 ‰ pour les naissances simples mais de 19,7 ‰ en cas de naissances multiples. En cas de naissance simple, accoucher d’une fille était parfois moins périlleux que d’un garçon21 : mettre au monde un garçon accroissait la mortalité des premières quarante-huit heures et plus généralement celle des deux premières semaines.
- 22 Ce genre de grossesses donnait plus souvent lieu à des relations que les autres, dont l’issue était (...)
28Fréquente en cas de grossesse sans problème, la mort était certaine lors d’une grossesse anormale, comme celle d’Aimée Duforest, que rien ne semblait destiner à périr : elle était encore relativement jeune (32 ans), ses deux premières grossesses avaient été heureuses ainsi que les accouchements, les enfans en sont encore vivants ; de taille fine mais robuste et bien conformée, elle avait jouï pendant cette troisième grossesse d’une bonne santé semblable à celle des précédentes. Le chirurgien Gauquier dénonçait les premiers intervenants : elle commença à sentir les premières douleurs le 19 prairial vers quatre heures le matin ; une femme sans aucune qualité fut appelée, resta auprès de la malade jusqu’à sept heures le soir, la femme éprouvait des douleurs de moment à autre ; son ventre devint plus tendu et douloureux ; pendant cette journée Monsieur Desruez, officier de santé, la visita, lui ordonna quelques boissons indiquées et un lavement. Ce même soir on appella Mr Gorain, ancien chirurgien accoucheur, qui passa la nuit auprès de la souffrante ; ne voyant aucune disposition pour accoucher, s’en retourna chez lui. Gauquier, appelé le 20 en fin d’après-midi, trouva une femme très faible, l’artère à peine sensible, une figure livide et cadevereuse, les extremités presque froides, [lui] firent présager une hemorragie interne et une fin prochaine ; après un examen qui lui fit palper l’orifice et le col utérin situés fort à droite du vagin et dans leur état naturel, comme dans la plus parfaite vacuité, dans l’impossibilité d’accoucher cette femme, il ordonna une fomentation sur l’hipogastre avec l’oxicrat ; les douleurs se sont affaiblies avec la malade jusqu’au lendemain 21, qu’elle est morte vers midi. C’est alors qu’il put, tout à loisir, procéder à l’examen de la défunte, à l’ouverture du bas ventre […] ; j’agrandis l’incision jusqu’à l’ombilic, sitot un enfant de sexe masculin se présenta […], très gros et bien conformé qui ne put être rappelé à la vie22 !
- 23 M. Laget, 1977. Sur la classification des causes de décès en fonction des diverses pathologies immé (...)
29La mortalité maternelle résultait soit directement des mécanismes de l’accouchement, à l’origine des décès immédiats, soit des suites des couches : à partir du deuxième jour et surtout dans la première semaine, se développaient particulièrement les fièvres puerpérales, responsables de bien des décès, surtout chez les femmes les plus âgées, plus vulnérables aux infections23. En l’absence de sources présentant les causes de décès, il faut se contenter d’observer la répartition dans le temps des décès consécutifs à l’enfantement, pour évaluer la part de la mortalité résultant de l’accouchement, de ses complications et la part consécutive aux pathologies différées (infection puerpérale, hémorragies et phlébites puerpérales).
30Dans les vingt-quatre heures suivant la délivrance intervenaient près de 12 % des décès et 37,3 % des femmes périssaient dans la première semaine. Le choc obstétrical causait donc la mort d’environ une femme sur huit mortes en couches, ce pourcentage n’ayant cessé de diminuer après le maximum enregistré à la fin du xviiie siècle. En revanche, la part des pathologies différées ne diminua guère tout au long du xixe siècle, en particulier les fièvres puerpérales responsables de la majorité des décès, et ce, dans des proportions encore plus fortes pour les épouses d’ouvriers que pour celles des artisans, marchands et autres boutiquiers mariées de 1860 à 1889, qui accouchaient dans de moins mauvaises conditions.
31Pour l’ensemble du corpus, le taux de mortalité maternelle des vingt-quatre premières heures stagna au xixe siècle (0,9 ‰) alors que la mortalité intervenant du huitième au soixantième jour, qui était de 7,6 ‰ pour les naissances des années 1740-1769, tomba à 4 ‰ en 1800-1829, puis s’éleva de nouveau à 6,3 ‰ pour la fin de la période. Le minimum des trente premières années du xixe siècle résultait avant tout de la réduction de la part des décès dus à l’infection ; en revanche, à partir de 1830, alors que certains progrès en obstétrique étaient enregistrés, alors que les sages-femmes étaient un peu mieux formées, les fièvres continuèrent à tuer celles qui avaient échappé à la mort grâce à la médicalisation de la grossesse et de l’accouchement.
- 24 S. Beauvalet, 1994 et 1999.
32Avant la révolution de l’asepsie, accoucher à l’hôpital n’était ni gage d’hygiène, ni assurance de meilleure chance de survie24. A Roubaix, toutefois, le nombre de femmes, le plus souvent des filles-mères, qui choisissaient l’hôpital resta fort limité, dérisoire jusqu’aux années 1870, puis leur pourcentage augmenta (11 %).
33Destins de la mère et de l’enfant étaient liés : sur 100 enfants dont la mère était morte en couches, 46 étaient morts dans le premier mois, dont 17 morts-nés. Les proportions étaient bien moindres si, au contraire, la mère survivait et près de la moitié des enfants mourait alors après 15 ans.
L’enfant fragile
- 25 AMR, Rapports sur l’administration et la situation des affaires de la ville de Roubaix.
- 26 P. Pierrard, 1965. Cette différence se retrouvait au niveau départemental, A. Lesaege, 1968.
34Mortinatalité et mortalité infantile menaçaient constamment le nouveau-né. En raison de leur mauvais enregistrement, l’estimation des morts-nés se révèle fort aléatoire pour le xviiie siècle, en particulier pour les deux premières décennies étudiées, ainsi que de 1800 à 1819. Leur part dans l’ensemble des naissances ne serait que de 1 % pour les vingt premières années, d’environ 2 % de 1760 à 1799. A partir de 1820, l’enregistrement semble bien meilleur et les enfants nés sans vie représentaient à peu près 5 % des naissances. Le pourcentage parmi les enfants illégitimes était légèrement plus élevé que pour l’ensemble des naissances mais il était quasi nul pour les enfants naturels reconnus par le père à la naissance : de 1866 à 1889, on compta 1 mort-né pour 23 à 26 naissances légitimes mais 1 pour 17 à 28 naissances naturelles25 ; à Lille, également, les morts-nés étaient plus nombreux parmi les enfants illégitimes (1 mort-né pour 14,77 naissances légitimes contre 1 pour 9,89 naissances naturelles)26.
35Le choléra provoquait une augmentation de la mortinatalité, comme en 1832, en 1854 et en 1866. En revanche, nulle conséquence de ce type pour le typhus de 1848 ou les atteintes cholériques de 1849 et 1858, sans doute en raison des décès des femmes les plus faibles, celles qui risquaient donc le plus de mettre au monde un mort-né. Toutefois, en 1859, le nombre des enfants nés sans vie dépassa la moyenne décennale, conséquence sans doute de la dégradation de l’état de santé des mères, après l’atteinte cholérique de 1858.
- 27 La fatigue concernait également les domestiques et femmes de ménage, surtout au moment des fêtes, D(...)
- 28 E. Zola, 1993.
36En dehors de toute épidémie, nombre de morts-nés étaient les victimes d’avortements naturels consécutifs au travail de la future mère, à une fatigue excessive, à un labeur quotidien pénible, à la nécessité d’entreprendre de lourds ouvrages, ce que dénonçait le docteur Faidherbe27. Dans d’autres cas, ils étaient les innocentes victimes du crime hypocrite de la faiseuse d’anges28.
37Pour les enfants nés vivants, il restait à affronter la vie et, en particulier, les innombrables dangers de la première année.
- 29 C. Faucompré, 1854, cité par P. Pierrard, 1976.
J’ai fait quatre cercueils, je le dis sans remords,
Pour mes quatre enfants qui sont morts ;
Jamais ouvrier à l’ouvrage
Ne mit tant d’ardeur et de rage…29
- 30 Il faut attendre 1901-1914 pour qu’intervienne une baisse spectaculaire, A. Lesaege, 1968 et A. Les (...)
- 31 A Tourcoing, pendant la première moitié du siècle, « un habitant sur trois meurt avant d’atteindre (...)
- 32 22 ‰ et 259 ‰ dans les arrondissements d’Hazebrouck et de Dunkerque et même 500 ‰ à Halluin à la fi (...)
38L’analyse de la mortalité infantile confirme, en premier lieu, l’énorme inégalité selon que l’on naissait fille ou garçon : pour une mortalité établie sur les cent cinquante ans à 213 ‰, le quotient est de 231 pour les garçons mais seulement de 194 pour les filles ; même si l’écart eut tendance à se réduire au xixe siècle, il resta cependant important. En second lieu, l’étude met en évidence une surmortalité par rapport au département, lui-même défavorisé par rapport au pays : pour le Nord, le taux moyen était d’environ 185 ‰ pour les années 1815-1900 alors qu’en France, il était de l’ordre de 168 ‰30. C’était un enfant sur cinq qui ne fêtait pas son premier anniversaire31, mais, de 1813 à 1871, dans l’arrondissement de Lille, qui n’était pas le pire, le taux atteignait 191 ‰ et, dans le canton de Roubaix, le taux pour 1897-1902 est de 205,9 ‰, donc plus que pour l’ensemble du département32.
39La comparaison avec la Belgique et l’Angleterre corrobore la surmortalité du Nord et de Roubaix en particulier : quand le taux était de 150 ‰ pour la Belgique de 1841-1850, il était de 172 ‰ dans le Nord et de 182 ‰ à Roubaix. De même, le taux anglais était de l’ordre de 150 ‰ de 1839 à 1914 contre 175 ‰ pour le Nord.
- 33 Ce recul est commun à nombre de régions de l’Europe de l’Ouest, A. Perrenoud, 1994. A Tourcoing, po (...)
40La tendance générale à la régression dans le long terme du quotient de mortalité infantile, calculé pour les deux sexes réunis et pour toutes les familles, s’accompagna cependant d’une grande variabilité selon les années (cf. Graphique VI.6). La hausse importante de la fin du xviiie siècle tient à la fois à une dégradation de la situation du moment mais peut-être aussi à une amélioration de l’enregistrement des décès des enfants en bas âge. Après la baisse du tournant du siècle, le quotient semble stagner33 : en effet, à de rares exceptions près, le taux ne fut jamais inférieur à 200 ‰. Après une diminution pendant les années 1840-1859, de nouveau, la mortalité s’aggrava, confirmant l’analyse de la répartition des décès selon les âges, pour les dernières décennies du siècle. La baisse du milieu du siècle pourrait surprendre puisque ces années ne furent pas exemptes d’atteintes du choléra qui, cependant, ne toucha guère les enfants en très bas âge. Donc, une épidémie de choléra ne peut pas toujours être mise en relation avec une hausse de la mortalité infantile : elle ne touchait pas en priorité directement les nourrissons. L’influence peut éventuellement être indirecte par la mortinatalité et par la réduction de la natalité en raison du décès des mères. Le quotient de mortalité infantile semble avoir été affecté d’une certaine hausse par rapport à la décennie pour les enfants nés en 1848-1849 ou en 1853-1854 à l’inverse de ceux nés en 1832 et 1866. On retrouve donc fort logiquement la situation inverse de celle constatée pour la mortinatalité : les petites victimes nées sans vie ne pouvaient plus être la proie de la mortalité infantile.
- 34 A. Lesaege-Dugied, 1972.
41En fait, cette évolution heurtée n’est pas spécifique à Roubaix : en effet, dans l’ensemble du Nord, après une baisse de 1835 à 1845 due aux effets de la vaccination antivariolique ainsi qu’à la disparition de la sous-alimentation chronique, la mortalité infantile augmenta à partir de 1846 en raison de l’industrialisation et de l’urbanisation accrue du département34. Des fluctuations de court terme aux causes bien connues furent cependant à l’origine de poussées de mortalité : crise économique du milieu du siècle, épidémies, guerre de 1870-1871 ou même aléas climatiques (hivers froids ou étés chauds).
- 35 AMR, 5 Ia 1/63, rapport de la commission d’hygiène cantonale, 19 avril 1857.
42Peu de sources nous informent sur la pratique de la vaccination à Roubaix : un rapport de 1857 fait état de 67 vaccinations pour 100 naissances, ce qui était un minimum, toutes n’étant pas déclarées par des médecins ; dans les autres communes du canton, cette habitude semblait moins développée35.
- 36 A. Perrenoud (1994) envisage une reprise des épidémies.
43Au-delà de l’industrialisation et de l’urbanisation croissante, comment expliquer la remontée finale de la mortalité infantile dans le cas particulier de Roubaix ? Par l’arrivée massive d’immigrants belges, donc de familles de travailleurs connaissant des conditions de vie médiocres ? Par une augmentation du travail féminin en général, dans ces familles belges en particulier ? Le fait que la mère, lorsqu’elle n’était pas mariée, accouchait de plus en plus à l’hôpital, dans les conditions d’hygiène que l’on connaît avant la révolution de l’asepsie, rejaillissait-il aussi sur la mortalité infantile exogène ? Cette remontée n’est d’ailleurs pas limitée à Roubaix, elle toucha même des régions non-industrialisées36.
44Une étude différentielle de la mortalité infantile selon l’origine géographique des parents peut éventuellement apporter un élément de réponse. Il s’agit ici d’opposer les quotients pour les natifs et les non-natifs et de voir également si se retrouvent, à Roubaix, les disparités qui existaient à la même époque en Belgique, entre néerlandophones et francophones (cf. Graphique VI.7 et Graphique VI.8).
45Aucune réelle tendance ne se dégage de cette comparaison sur la longue durée, même si les enfants de pères et mères natifs subissaient plutôt des taux supérieurs. En ce qui concerne les populations belges, les quotients de mortalité infantile des deux sexes réunis calculés pour les naissances de 1860 à 1889, compris entre un minimum de 238 ‰ lorsque la mère est francophone et un maximum de 249 ‰ lorsque le père est néerlandophone, sont sensiblement plus élevés que le quotient moyen roubaisien. A la fin du siècle, les quotients n’étaient, en définitive, guère différents selon que le père ou la mère de l’enfant était né ou non à Roubaix : les évolutions des quotients pour les différents groupes se traduisent plutôt par un resserrement des écarts.
- 37 Ch. Vandenbroeke, F. Van Poppel et A. M. Van Der Woude, 1983. Ces diversités régionales résultaient (...)
- 38 G. Masuy-Stroobant, 1983. Si les mères flamandes n’allaitaient guère lorsqu’elles accouchaient en t (...)
46Les hommes belges, alors qu’ils étaient de plus en plus nombreux, auraient donc été, en partie, responsables de l’augmentation de la mortalité infantile constatée pendant la dernière période. La hausse fut, cependant, plus accentuée pour les populations francophones. Toutefois, il n’est pas sans intérêt de constater que naître d’un père ou d’une mère néerlandophone, plutôt que francophone, aggravait les risques de mourir dans la première année. Les taux pour les provinces belges entre 1750 et 1891 font d’ailleurs apparaître des différences régionales assez marquées : au milieu du xixe siècle, comme encore en 1891, les deux provinces de Flandre avaient les taux les plus élevés37. On peut penser que ces écarts ont été en quelque sorte « transférés » à Roubaix par les mères d’origine belge qui, en migrant, auraient apporté leurs coutumes, leurs mauvaises habitudes en matière de soins ou de pratiques alimentaires, en particulier par rapport à l’allaitement, voire la mise en nourrice38, d’où l’aggravation de la situation roubaisienne avec l’afflux massif de Flamandes. Pour la dernière période trentenaire, la comparaison de la mortalité pendant la première année de la vie selon l’origine de la mère montre des quotients équivalents. Toutefois, à partir du quatrième mois, les quotients qui avaient plutôt tendance à stagner ou à diminuer lentement, lorsque la mère était née au-delà de la frontière, diminuaient plus nettement, lorsque la mère était Roubaisienne.
47Bien plus que l’origine géographique, l’appartenance sociale, la place dans la société était un critère important de la mortalité infantile. Une première approche à partir de la signature des actes de mariages révèle combien l’alphabétisation est discriminatoire. En effet, le quotient de mortalité infantile pour les deux sexes calculé sur l’ensemble de la période est deux fois plus élevé pour les familles analphabètes. Cependant, l’écart eut tendance à se réduire au fil du temps.
48De même, c’est logiquement dans le milieu de l’élite que les quotients étaient les plus bas (172 ‰ pour l’ensemble de la période) mais devançant de peu les paysans (176 ‰). En revanche, pour les plus pauvres des Roubaisiens, les ouvriers textiles, le quotient était particulièrement élevé (364 ‰ pour 1740-1889) et surtout il s’accrut considérablement dans la deuxième moitié du siècle, alors que, pour les classes moyennes, la hausse resta plutôt modérée et qu’elle le fut encore plus pour le groupe des autres ouvriers. Il est évident que les quotients peuvent varier à l’intérieur de ces grandes catégories socioprofessionnelles, les enfants de fonctionnaires étaient par exemple moins soumis au risque que ceux des bouchers-charcutiers et boulangers-pâtissiers.
49L’augmentation dans la dernière période, reflet de la dégradation de la situation sociale d’une majorité de Roubaisiens, est donc due essentiellement au groupe des ouvriers textiles. Déjà forte dans les milieux ouvriers, par manque total d’hygiène, en raison des conditions de logement, de la médiocrité de l’équipement sanitaire, la mortalité infantile était encore aggravée par le travail féminin, particulièrement répandu dans l’industrie textile, qui contraignait les mères à placer leurs enfants chez des « gardiennes », parfois peu scrupuleuses.
- 39 Il est impossible de faire la part entre mortalité endogène et exogène. La mortalité endogène « est (...)
- 40 Dans le Brabant au xviiie siècle, 2/3 des décès du premier mois intervenaient dans la première sema (...)
- 41 Dr A. Faidherbe, 1894-1895.
- 42 J. Dupâquier, 1994.
50Il convient aussi d’introduire des distinctions entre la mortalité du premier mois de la vie (qualifiée de néo-natale) et celle des onze mois suivants, aussi appelée mortalité postnéo-natale39. Le premier jour était le plus risqué puisque 31 % des décès du premier mois étaient enregistrés dans ces vingt-quatre heures, 56 % se concentrant dans la première semaine40. De tels pourcentages traduisent l’état de santé des mères : La mort, pendant le travail ou dans les quelques heures qui suivent l’accouchement, est due, soit à ce que le bassin de la mère, étant mal conformé, ou l’enfant se présentant dans une mauvaise position, le travail ne peut se faire normalement et que l’enfant, même bien constitué, meurt, soit à ce que l’enfant est antérieurement trop faible pour résister à un travail quelque peu prolongé. Dans ce dernier cas, comme dans la débilité congénitale, il faut presque toujours chercher chez la mère l’influence d’une cause diathésique ou accidentelle qui explique cette faiblesse anormale de l’enfant : tantôt ce sera la syphilis, tantôt la tuberculose ; tantôt enfin l’albuminurie, car ces trois causes sont celles que l’on rencontre le plus fréquemment41. On comprend dès lors que nombre d’enfants ne survivaient pas, étant donné la diffusion de ces affections à Roubaix. S’y ajoutaient les conditions d’accouchement qui avait lieu le plus souvent à domicile avec l’assistance de sages-femmes dont l’âge fut, pendant longtemps, source privilégiée de connaissances ; en cas de difficulté particulière, le médecin était appelé, mais l’utilisation du forceps ne permettait que rarement de sauver l’enfant. En outre, la mortalité de la première semaine résultait des accouchements avant terme, consécutifs aux fatigues engendrées par la « double journée », ménage et travail rémunéré42.
51Nonobstant l’amélioration au xixe siècle, d’innombrables paramètres intervenaient dans la mortalité des quatre premières semaines de la vie : le sexe de l’enfant, le mois de naissance, la taille de la famille, le rang de naissance, l’âge de la mère et son destin après l’accouchement, son origine, le milieu socio-économique, etc. Le risque était également accru lorsqu’il s’agissait de naissances multiples. Être l’aîné, quelle que soit la taille de la famille, laissait moins de chance, mais ce n’est guère avant le quatrième ou le cinquième rang que les quotients commençaient à croître de nouveau sans toutefois atteindre les niveaux de rang 1. Être de sexe masculin, naître au xviiie siècle, entre décembre et février, d’une mère primipare, âgée de moins de 20 ans ou de plus de 40 ans, décédée moins d’un mois après la naissance de jumeaux, ne laissait qu’une faible chance de survie au-delà du premier mois !
52La mortalité néo-natale selon le mois de naissance évolua différemment au long de la période. Un enfant né en juillet-août pendant les trente dernières années courait autant de risque de mourir que celui né un siècle plus tôt. En revanche, la baisse fut considérable pour les enfants nés en hiver, les quotients étant presque divisés par deux ou trois en un siècle. Cette amélioration notable résulte sans doute des quelques progrès accomplis, par exemple en matière de formation des sages-femmes, en particulier en matière de soins apportés aux prématurés. Pour la dernière période, le quotient de mortalité du premier mois, quel que soit le mois de naissance, moins affecté que d’autres par les variations saisonnières, correspond donc alors surtout à la caractéristique endogène de la mortalité néo-natale.
53L’étude de la mortalité postnéo-natale montre des changements notables au long de la période. En effet, pour les cinquante premières années, et ce quel que soit le mois de naissance, les mois d’hiver étaient particulièrement mortels en raison des infections respiratoires, l’été pouvait aussi aggraver la mortalité des enfants nés en janvier, février, mai et même ceux nés à l’automne connaissaient à la fin de leur première année un regain de la mortalité. Les enfants nés un siècle plus tard (1840-1889) étaient plutôt victimes de l’été à cause des maladies de l’appareil digestif, liées à la chaleur et à une alimentation diversifiée. La surmortalité estivale était cependant moins importante pour les enfants qui, encore allaités, étaient mieux protégés.
- 43 A. Fauve-Chamoux, 1983. La même remontée des quotients entre le deuxième et le sixième mois du fait (...)
54L’étude des quotients, mois par mois, jusqu’à la fin de la première année met donc en évidence le rôle du début du sevrage : en effet, la diversification alimentaire fragilisait les enfants et la mortalité pouvait alors remonter entre le cinquième et le douzième mois pour diminuer ensuite43. A Roubaix, il est difficile de voir apparaître une tendance fort claire en ce qui concerne le début du sevrage. Toutefois, quelle que soit la période, la réduction des quotients, entamée au deuxième ou troisième mois, s’arrêtait vers le septième ou huitième.
- 44 A. Lesaege-Dugied, 1972.
55Chaque saison, avec ses risques spécifiques, était donc aussi source d’inégalité devant la mort. Au milieu du xviiie siècle, les jeunes enfants, très fragiles, étaient sensibles à toutes les maladies hivernales auxquelles ils résistaient difficilement. Deux modèles s’opposent, le modèle urbain (les classes moyennes et les ouvriers) avec des indices maxima en hiver et le modèle rural, avec une surmortalité estivale pour les enfants des paysans (août, surtout pour les années 1770-1799) : l’été, avec son cortège de grands travaux agricoles auxquels participaient les mères, réduisait l’attention et les soins apportés aux enfants par les paysans et contribuait sans doute à un sevrage précoce. Jusqu’en 1830-1839, pour l’ensemble des enfants, les maxima étaient avant tout situés en hiver ; à partir de 1840-1849, l’indice de septembre augmenta sensiblement puis celui d’août connut la même tendance et ces deux mois – auxquels on peut adjoindre juillet – constituaient, à partir de 1850, une saison fort difficile pour les très jeunes enfants. La chaleur estivale aggravant l’insalubrité chronique, le lait de mauvaise qualité et qu’on ne savait pas conserver devinrent alors mortels pour les enfants des milieux les plus humbles, en particulier. Cette évolution de la distribution mensuelle de la mortalité infantile fut générale dans les villes du département du Nord44.
- 45 Ibidem. Les ouvriers du Nord non malthusiens n’avaient pas encore abandonné « l’idée du gaspillage (...)
56De manière générale, au xixe siècle, les taux urbains de mortalité infantile étaient plus élevés que ceux des campagnes et les raisons en sont assez bien connues : grande dimension de la famille, bas niveau de salaire ou plus généralement de vie, intense activité de la femme. Les conditions de vie et les conditions sanitaires – médiocre qualité du logement, entassement dans les maisons, absence d’hygiène – ne favorisaient guère la résistance des enfants aux maladies contagieuses. Le travail des femmes était également un facteur aggravant, et l’on sait combien les Roubaisiennes étaient nombreuses à travailler, dans le secteur textile notamment. Les familles ouvrières ne pouvaient prendre soin de leurs enfants comme on pouvait le faire dans d’autres milieux. La mère qui n’avait reçu aucune éducation sanitaire et qui, travaillant en usine, se voyait contrainte de faire garder son enfant, risquait fort de ne pas le voir grandir, qu’elle le confiât à une « vraie » nourrice, ou seulement, comme c’était fréquemment le cas, à une « nourrice sèche », femme âgée, vivant dans une courée. Enfin, l’attitude des familles vis-à-vis de l’enfant n’était pas sans conséquences : forte natalité ouvrière et forte mortalité infantile traduisaient une certaine résignation face à des phénomènes considérés comme naturels et inévitables45.
- 46 Cela est confirmé par les recherches menées sur des pays en voie de développement, G. Masuy-Strooba (...)
57L’ignorance ou l’inconscience des mères – ou des nourrices – transparaît parfaitement dans le rôle de l’alimentation du nourrisson dans la mortalité infantile. Si la qualité et la quantité de la nourriture étaient cause de décès pour la population dans son ensemble, c’était, en effet, un danger bien plus grand qui guettait les enfants et en particulier les nouveaux-nés. La malnutrition pouvait transformer des infections bénignes, telles que rougeole et coqueluche, en maladies mortelles46. A l’origine de cette malnutrition, se trouvait une alimentation défectueuse ou inadéquate : un allaitement insuffisant en quantité ou en qualité parce que la mère était elle-même en mauvaise santé, un sevrage précoce ou trop brutal, du lait coupé d’eau impure, une alimentation solide mal adaptée au bébé. Il faut également évoquer l’usage fréquent du « dormant » pavotique, thériaque à base d’opium pour accélérer l’endormissement de l’enfant. A Roubaix, toutes ces causes se conjuguaient pour faire mourir jusqu’à un quart des enfants dans leur première année.
58A la fin du xixe siècle, la révolution pastorienne n’était pas encore entrée dans les mœurs, comme en témoigne le terrifiant tableau dressé par le Dr Faidherbe à propos de l’allaitement artificiel, mal compris et mal exécuté, vraie source de gastro-entérite et de plusieurs affections graves de l’enfant […] ; à Roubaix, le lait de vache est seul ou presque employé […] : ce lait est toujours donné, allongé d’eau, sucré et bouilli, et l’enfant l’aspire au moyen du biberon à tube […]. Mais indépendamment de cela, on donne à l’enfant divers liquides plus ou moins sains, eau sucrée, eau d’orge, eau pannée qu’on lui fait ingurgiter en grande quantité et qu’on laisse souvent traîner des heures entières dans le biberon.
59L’inconvénient de ces divers liquides est de noyer l’estomac de l’enfant qu’on remplit ainsi d’une grande quantité de matières, absolument impropres à l’alimentation, susceptibles de fermenter facilement et par suite de nuire considérablement. Le lait même est dangereux dans bien des cas parce que, souvent falsifié d’avance, cuit à l’air libre, soumis à tous les germes pathogènes de l’air, il devient un aliment indigeste et peut être la source d’accidents de fermentation de diverses natures.
60Le biberon lui-même, lavé rarement ou toujours insuffisamment, la tétine laissée des heures dans la bouche du nourrisson, sont aussi le siège de multiples réactions nuisibles et contribuent à aggraver les dangers que nous signalions.
- 47 Dr Lévesque, 1906 ; le Dr Deleau (1903) qualifiait le biberon d’engin redoutable qui a tué plus d’e (...)
- 48 Dr Ely, 1902, cité par A. Lesaege, 1968.
61Malgré les accusations des médecins, ces biberons mortels étaient toujours utilisés, bien qu’impossibles à nettoyer car formés d’une bouteille, de laquelle partait un long tube en caoutchouc, terminé par une tétine ; il restait toujours dans les replis de ce dangereux caoutchouc, des particules de lait, qui fermentent et entretiennent des bactéries extrêmement nocives, qui se mélangent ensuite au lait et qui […] font naître la gastro-entérite et, souvent le choléra infantile, qui emporte les enfants en quelques heures47. Sur leur berceau, est constamment la bouteille, qu’on ne lave jamais, non plus que le tuyau […] le biberon trop rempli n’est pas vidé complètement par l’enfant car il s’est endormi pendant qu’il buvait. Tout à l’heure, quand il s’éveillera, on remplira hâtivement le biberon, en complétant ce qui manque48. Comment l’enfant pouvait-il en réchapper !
- 49 Dr A. Faidherbe, 1894-1895. Malheureusement, comme il ne précise pas quand s’amorçait la diversific (...)
62Toutefois, le sort de celui qui survivait n’était pas meilleur : combien avons-nous vu de ces malheureux avortons, gavés de potages à la farine, au pain, aux pommes de terre, à l’oignon, à l’oseille, voire de lait battu, de tartines et de viandes, et à qui on donnait à boire par amusement de la bière, du vin, et pis encore, du café et du genièvre ! A Roubaix, ces pratiques sont générales dans la classe ouvrière et très communes dans les autres, qu’elles soient le fait des parents ou celui des domestiques. Par sottise ou par amusement, on empoisonne les enfants avec cette alimentation stupide ! Pour expliquer ce comportement, Faidherbe invoquait l’influence des grands-mères, des voisines avec leurs habitudes, d’il y a cinquante ans, et tous les préjugés qu’elles ont ramassés dans le cours de leur existence49 et le médecin qu’il était semblait désemparé face à de telles situations, en proie à l’hostilité, au refus obstiné des femmes de modifier leurs habitudes.
- 50 La stérilisation du lait fut mise au point en 1891.
- 51 ADN, M 344/4, lettre du maire de Lille au préfet, 31 août 1903.
63Ce ne fut qu’en 1893 que se constitua le Comité pour la Protection de l’Enfance dans le but de réformer les habitudes des mères et des nourrices, pour les convaincre de la nécessité d’adopter le biberon sans tube, pour leur enseigner les pratiques qui préservent la vie des enfants : leur donner du lait stérilisé50 chaque jour et conservé dans des flacons hermétiquement bouchés jusqu’au moment du biberon, faire renoncer les mères à donner à leurs nourrissons toutes sortes d’aliments et à n’importe quelle heure quand ils pleurent ou crient. En 1903, lorsque Pierre Wibaux, installé aux États-Unis et ayant réussi dans l’élevage, offrit 25 000 F à Roubaix et autant à Lille pour fonder une organisation de lutte contre la mortalité infantile – la Goutte de Lait –, le maire de Lille estimait qu’il y avait dans sa ville comme dans toutes grandes villes industrielles environ 28 % des nouveaux-nés qui succombaient avant d’avoir atteint leur premier anniversaire, ce qu’il expliquait par la mauvaise qualité du lait, l’alimentation défectueuse, la mauvaise hygiène, le manque de soins ainsi que les préjugés51.
- 52 Les décès par gastro-entérite étaient fort nombreux dans le Nord comme dans les villes industrielle (...)
64Ces descriptions effrayantes corroborent ce que nous enseignent les statistiques sur les causes des décès des enfants de moins d’un an, établies seulement pour la fin du siècle. Pour les années 1897-1902, les trois causes principales étaient les maladies des voies digestives (35,9 % des décès), la débilité congénitale (16,6 %) et les maladies des voies respiratoires (16 %)52.
65Les causes de surmortalité infantile, à Roubaix comme dans le Nord, étaient donc la forte urbanisation, la forte industrialisation, l’état de l’équipement médico-social et un certain nombre de carences en matière de soins apportés aux enfants ; s’y ajoutaient le poids de la classe ouvrière, avec sa passivité, l’illégitimité plus fréquente et le travail féminin. Mortalité infantile et mortalité maternelle apparaissaient comme deux facettes de la misère des ouvriers roubaisiens.
- 53 C. Rollet-Echalier, 1990. La très grande vulnérabilité des enfants de 1 à 5 ans à la ville a été dé (...)
66Au-delà du premier anniversaire, la mort touchait généralement plus les filles que les garçons. Toutefois, entre le premier et le cinquième anniversaire, l’écart n’était qu’exceptionnellement accentué et la forte surmortalité masculine ne caractérisait que les périodes de crise (1780-1799, 1830-1839 et surtout 1850-1869). Par ailleurs, le quotient de mortalité à cinq ans ne déclina pas entre le milieu du xviiie siècle et la fin du siècle suivant. Du moins, retrouve-t-on, dans la comparaison de notre ville à l’ensemble du pays, les conséquences de la forte mortalité : lorsqu’il y avait 693 survivants à 5 ans pour 1 000 enfants nés en 1806-1810 en France, le nombre n’était que de 595 pour les Roubaisiens nés de 1800 à 1809 ; à la fin du siècle, l’écart s’était accru, 746 survivants sur 1 000 naissances de 1886 à 1890 en France mais seulement 398 pour les Roubaisiens nés de 1880 à 188953.
- 54 En France, la surmortalité féminine avant 20 ans, faible pour les années 1740-1789, s’aggrava au si (...)
- 55 Les parents (ouvriers) les laissent courir au dehors alors que leur santé ne leur cause point d’inq (...)
- 56 A. Perrenoud, 1975 et G. Masuy-Stroobant, M. Poulain, 1983.
67De cinq à quinze ans, la situation la plus fréquente est également la surmortalité féminine ; elle s’aggrava au xixe siècle, surtout pour la tranche d’âges 5-9 ans, en relation avec l’urbanisation croissante et la surmortalité féminine par maladie, tuberculose par exemple54. Mais les crises inversaient le rapport, surtout la forte atteinte cholérique de 1866 à l’origine d’une très importante surmortalité masculine. Comme pour les très jeunes enfants, mauvaise alimentation et inconscience de certains parents étaient largement à l’origine de la surmortalité des jeunes55. En outre, ceux qui n’étaient pas livrés à eux-mêmes étaient exposés aux risques du travail en usine. Les mauvaises conditions d’hygiène, caractéristiques de Roubaix comme de bien d’autres villes, facilitèrent également la prolifération des maladies infectieuses56.
- 57 M. Laget, 1977 et E. Shorter, 1984.
68Au-delà du drame individuel que constituait le décès de la femme en couches, dans des circonstances atroces et dans la douleur57, il reste que la menace que représentaient toute grossesse et tout accouchement n’était qu’un risque parmi d’autres encourus par toutes les femmes (mourir du choléra ou de la tuberculose…). La ville industrielle accroissait, sans nul doute, les dangers pour les jeunes et les adultes des deux sexes (maladies de la ville industrielle ou déviances favorisées par le travail en usine), comme la pauvreté et la nécessité de travailler, de s’entasser dans des logements dépourvus du minimum d’hygiène décuplaient la mortalité épidémique des ouvriers les plus déshérités.
III. « Le triangle maudit : l’usine, le taudis, le cabaret »58
- 58 P. Pierrard (dir.), 1978.
- 59 AMR, Rapports sur l’administration et la situation des affaires de Roubaix, de 1866 à 1889.
- 60 E. A Wrigley, 1969 ; J.-P. Goubert, 1984 ; Cl. Desama, 1985 et R. Leboutte, 1988.
69Faute d’informations fournies par les actes de décès, il est difficile, notamment pour le xviiie siècle, de connaître les causes de la mort. En revanche, pour la fin de la période, nous disposons des rapports de l’administration qui fournissent la répartition des causes de décès suivant les déclarations des médecins59. De plus, les causes de surmortalité urbaine – conditions sanitaires médiocres dont l’une des conséquences était de favoriser la propagation de maladies contagieuses voire d’épidémies, médiocre niveau de vie des populations laborieuses et logements surpeuplés et de mauvaise qualité – étaient évidemment présentes à Roubaix, en particulier au xixe siècle. D’ailleurs, comme à Verviers ou dans d’autres centres industriels qui grandirent trop vite, c’est plus l’urbanisation rapide et désordonnée que la croissance industrielle qui fut à l’origine de la surmortalité roubaisienne60.
Sous-alimentation chronique
- 61 AMR, F V 1/37, réponses du Magistrat aux questions posées par le préfet en l’an IX.
- 62 AMR, F V 1/40, Mémoire sur les mœurs, habitudes, coutumes des habitants de Roubaix, 29 fructidor an (...)
70La forte mortalité tenait d’abord à la sous-alimentation chronique et à la mal-nutrition généralisée : Les cultivateurs se nourrissent fort mal ; leur nourriture principale est le lait de beurre (lait battu), les pommes de terre, des fèves. Ceux qui passent pour mieux se nourrir mangent plus fréquemment de la viande salée et fumée provenant du bétail qu’ils abattent chaque année61. En l’an IX, à la question Quelle est la nourriture habituelle de l’artisan, du journalier à la ville, de l’habitant à la campagne ? ajoute-t-il quelque chose à cette nourriture les jours de repos ?, la réponse était aussi éloquente : la nourriture de l’artisan est communément la viande une ou deux à trois fois par décadi c’est-à-dire les jours de repos ensuite le lait battu, les fruits et les pommes de terre. L’habitant de la campagne la viande salée62. Pour les ouvriers, la nourriture se limitait au pain, au lait battu, aux fèves et à quelques légumes que les travailleurs proto-industriels pouvaient cultiver eux-mêmes, voire récupérer ici ou là.
- 63 Une ordonnance de police du 1er août 1775 condamnait ceux qui, oubliant leurs devoirs, […] vont dan (...)
- 64 Le Dr Faidherbe (1894-1895) pensait que cette épidémie était sans doute une affection du système di (...)
- 65 Commencées dans notre région le 5 janvier 1740, les grandes gelées durèrent neuf semaines. Le prix (...)
- 66 Une somme de 832 livres pour leur nourriture et leur logement figure dans le compte de la taille de (...)
71Périodiquement, la mal-nutrition était aggravée par des crises frumentaires, aux origines multiples, qui plongeaient la population dans un profond désarroi63. Le climat pouvait être responsable de la détérioriation de la situation : ainsi à l’origine des 409 morts de 1742, soit le double de la moyenne décennale, se trouvait une épidémie, qui, selon la taille des faux-frais de 1743, fut très rigoureuse (et) qui occasionna non seulement la perte de nombreux habitants mais encore une dépense très considérable dont la cause est difficile à connaître64 et qui sévit d’autant plus que les organismes étaient affaiblis par les privations antérieures dues à une période de cherté qui durait depuis 1740, consécutive au fameux « long hiver »65. Cette épidémie fut telle que des chirurgiens furent envoyés à Roubaix par les États de Lille pour visiter le grand nombre de malades66.
- 67 Depuis plus de neuf mois règne la maladie. La maladie va toujours en augmentant ; […] la plupart de (...)
- 68 AMR, HH-2, 1768.
- 69 Le rapport, envoyé en juin 1790 au Contrôleur Général, sur l’emploi fait par l’intendant Esmangart (...)
- 70 H.-L. Dubly, 1925.
72La forte mortalité de 1769 peut aussi être attribuée à une moindre résistance des organismes face à « la » maladie67, due aux pénuries frumentaires qui duraient depuis 1766. Pour réduire les difficultés d’approvisionnement, les États de Lille envoyèrent à Roubaix du riz pour tenir lieu de blé68. De même, la rigueur de l’hiver de 1783-1784 fut telle que le roi, en juillet 1784, décida d’accorder une somme de 30 000 L. pour les habitants de Flandre et de l’Artois qui avaient le plus souffert69. Les conditions atmosphériques ne s’améliorèrent pas l’année suivante puisque le fabricant Liévin Defrenne écrivait le 3 juin 1785 : après trois mois de sécheresse et un tems froid nous venons d’avoir quelques pluies mais froides et ce matin même il était encore gelé assez fort et nous craignons que nos lins et nos colsats ne soient perdus de même que les fruits70.
- 71 AMR, HH-4 pour 1744-1748 et HH-5, pour 1770-1773.
- 72 Le docteur Faidherbe (1894-1895) l’identifiait comme étant une péripneumonie érysipélateuse c’est-à (...)
- 73 ADN, C-220, procès-verbal fait à Lille le 1er juin 1787 par les médecins Boucher et Dehenne.
- 74 Qualifiée de fièvre putride maligne à Roubaix, comme à Bondues où elle sévit également, elle fut pr (...)
- 75 AMR, F IV C/1, F V C/1.
- 76 Dr A. Faidherbe, 1895-1896.
- 77 Lettre en date du 7 janvier 1789, adressée à M. J.-B. Barbaroux et Cie de Turin, citée par H.-L. Du (...)
73Dans la plupart des cas, la crise avait donc une origine frumentaire, mais elle pouvait redoubler lorsque survenaient en plus des épizooties, comme celles de 1744-1748 et de 1770-177371. Parfois le déficit naturel ne semblait s’expliquer que par une maladie : ainsi en 177372 ou en 1794, lorsque la commune fut atteinte par la dysenterie, le nombre des décès doubla par rapport à la moyenne de la décennie. Mais le plus souvent, la crise associait conditions atmosphériques défavorables, mauvaises récoltes, maladies ainsi que difficultés économiques. Un procès verbal sur l’épidémie de 1787 établissait également un constat édifiant de la condition misérable des journaliers roubaisiens en cette fin de siècle : a chacun des voiages […], nous avons trouve de nouveaux malades, tous pauvres artisans, habitant des chaumieres basses, non pavees et mal aérées. Pourtant, les pauvres ne furent pas les seules victimes : A notre derniere visite du 31, nous avons vu un riche particulier (M. Bulteau) dans l’etat le plus violent et dans le plus grand danger quoiqu’il ne fût qu’au huitième jour de la maladie. C’est un homme de cinquante cincq ans environ, très robuste. (Ce sont extraordinairement ceux d’une pareille constitution qui courrent le plus de dangers) ainsi l’on voit que la maladie gagnoit les maisons des gens aisés73. De fait, l’épidémie de 1787 ne peut être dissociée de la récession pré-révolutionnaire. Il y eut d’abord à Roubaix en 1786-1787 une épidémie de fièvre typhoïde qui sévit fortement, sans pour autant beaucoup tuer74 ; la distribution mensuelle des décès de l’année 1787 fait cependant apparaître un maximum secondaire printanier fort accentué. De plus, la récolte de 1788 fut ravagée par la grêle ; les prix augmentèrent, le prix moyen des grains doubla de 1780 à 178975. Les aléas climatiques expliquent la forte mortalité de l’hiver 1788-1789 : selon le Dr Faidherbe76, il y aurait eu des températures particulièrement basses et ceci pendant une période fort longue, ce qui fut à l’origine d’une mortalité infantile élevée (maximum important constaté pour décembre 1788). Liévin Defrenne, écrivant à son correspondant de Turin, le 7 janvier 1789, justifiait ainsi le fait que son fils n’avait pas encore pris la route de l’Italie : je dois vous dire qu’une gelée extraordinaire qui a commencé dès le 23 novembre et qui continue encore avec autant de violence jointe à une quantité de neige a été cause que sa mère ne l’a point voulu laisser partir77.
- 78 Mémoire des Bailli, Echevins et fabriquants de Roubaix de mars 1788 aux États d’Artois, ADN, C-1692 (...)
- 79 ADN, L 8991, 18 août 1790 et AMR, CC-157.
74C’était la misère qui régnait. La désolation est sans exemple dans la fabrique, les ouvriers qui peuvent encore trouver de l’ouvrage, gagnent moitié moins et peuvent à peine vivre ; ceux sans travail sont obligés d’aller en chercher sur le pays étranger, où on les accueille à la vérité78. Répondant à l’enquête du Comité de mendicité de l’Assemblée Nationale, la municipalité dressa un tableau assez significatif de la situation : sur une population évaluée à 9 000 habitants, 1 200 enfants de pauvres de moins de 14 ans hors d’état de gagner leur vie, 2 700 individus et plus de 120 personnes réunies dans la maison orpheline avaient besoin d’assistance79.
- 80 Dr L. Villermé, 1840.
75L’essor industriel du xixe siècle ne fit disparaître ni les carences, ni les crises alimentaires : tous, quel que soit leur sexe ou leur âge, prennent comme à Lille, chaque matin et surtout en se levant, une et souvent deux tasses de café (mélange de café et de chicorée) au lait, et presque sans sucre. […] A ce café, il faut ajouter, pour les plus pauvres, des soupes maigres, des pommes de terre ou d’autres légumes et des laitages ; mais les hommes non mariés qui gagnent de 50 sous à 3 francs, mangent tous les jours de la viande avec des légumes, et boivent de la bière. Le beurre et parfois un peu de viande de porc salée entrent aussi dans ce régime80.
- 81 AMR, 5 Ia 1/51, Réponses à un questionnaire destiné aux commissions cantonales d’hygiène et de salu (...)
- 82 AN, C 3019/1, Enquête parlementaire sur la situation des classes ouvrières en France, 1872-1875, ré (...)
76Au milieu du siècle, la commission cantonale d’hygiène évoquait la nature et la qualité de l’alimentation : la viande est généralement bonne, mais inaccessible à cause de son prix à la classe ouvrière. Les légumes sont de mauvaise nature, surtout la pomme de terre, et ils sont, pour ainsi dire, le seul aliment de la classe ouvrière. Le lait de beurre dont l’ouvrier se sert le soir est aussi généralement de très mauvaise qualité. […] Quant aux eaux, elles sont assez potables81. Trente ans plus tard, peu de progrès étaient constatés : L’alimentation (des ouvriers) se compose généralement de légumes, de pain, beure (sic), café, laitage, et de temps à autre de viande, dont l’usage journalier est très dispendieux82.
- 83 1816 époque à laquelle le blé s’est vendu 80 francs l’hectolitre, AN, 45/AP/23, Papiers Rouher, let (...)
- 84 ADN, M 547/1, pièce 272, Enquête sur la question du travail agricole et industriel, procès-verbal d (...)
- 85 AN, F/1cIII/Nord/8, rapports du sous-préfet de l’arrondissement de Lille au Préfet, janvier 1854 et (...)
77Encore au xixe siècle, les difficultés économiques aggravaient la sous-alimentation et pouvaient même se traduire par de véritables crises alimentaires, comme en 1816 ou 1854, ou surtout lors de la crise du milieu du xixe siècle83. La misère fut alors profonde et la situation alimentaire fort dégradée : la nourriture des ouvriers sans ouvrage (et le nombre est considérable) consiste en trois kilogrammmes sept cent cinquante grammes de pain, que le bureau de bienfaisance leur distribue par semaine et par individu, il leur a été aussi impossible depuis deux ans, d’acheter le moindre vetement, tous sont nus84. Guère plus brillante en 1854, la situation se présentait sous un aspect assez affligeant. Aux causes habituelles et périodiques de chômage, sont venues se joindre cette année la cherté excessive des vivres, la rigueur inusitée de la saison. […] Le combustible n’arrive que péniblement, par suite de la difficulté des transports et de la glace qui arrête la navigation sur les canaux. Aussi le nombre des pauvres augmente chaque jour. Six mois plus tard, le sous-préfet évoquait la persistance de la crise alimentaire et reconnaissait que les industriels de Roubaix avaient continué à employer le plus de bras possible. Mais les salaires n’étant pas en rapport avec la cherté des subsistances la situation des ouvriers est toujours précaire et il y a parmi eux bien des privations et des souffrances85.
78Mais, même en dehors des périodes de crise alimentaire, la population souffrait. En raison de l’insuffisance de leurs salaires, les ouvriers ne pouvaient se nourrir correctement : pommes de terre et pain constituaient l’essentiel de leur nourriture ; une consommation insuffisante de viande et une alimentation trop peu diversifiée étaient incompatibles avec l’énergie physique exigée par de longues heures de travail. De plus, ces carences prédisposaient à certaines maladies infectieuses, en particulier la tuberculose, la diarrhée bactérienne, le choléra, la coqueluche et les infections du système respiratoire, qui faisaient d’autant plus de ravages qu’elles touchaient des organismes affaiblis.
Insalubrité
79A ces difficultés nutritionnelles, s’ajoutait l’incommodité du milieu. De l’aveu même des contemporains, les conditions naturelles étaient, en effet, peu satisfaisantes ; se posait, en particulier, la question de l’eau, de sa quantité, de sa qualité.
- 86 AMR, DD-17/2, règlement du bailli, en date du 13 décembre 1735, texte imprimé.
80Déjà en 1735, les habitants se plaignaient de ce que les eaux de la Becque venant de la Macquellerie dans les Fossets du Château de Roubaix se trouvent infectées, tant par les eaux de lavage de laines, eaux de teintures et autres immondices, que différens Particuliers font courir dans cette Becque, que par les sayettes et filets teints en soye, que plusieurs personnes vont y laver ; que l’infection de ces eaux est d’autant plus préjudiciable aux Habitans de Roubaix, que dans les temps de secheresse ils n’ont pas d’autres eaux pour brasser, boulanger et pour les autres besoins de la vie, et qu’à leur défaut ils sont obligez d’en aller querir à une demi-lieuë de chez eux. Certes, le bailliage de Lille ordonna aux riverains de faire abbatre et couper en dedans deux mois, toutes les herbes, choques et broussailles qui se trouvent sur la pente de la rive de ladite Becque, de remettre la rive en bon état, et de faire couper tous les ans les ronces et broussailles, défendit également à toutes personnes de laver dans ladite Becque, des sayettes, filets ou laines, […] de faire couler dans ladite Becque, ni dans les égouts, ruisseaux des ruës ou fossets qui y communiquent, les mares ou brouets et eaux de teintures et de lavages de laine et toutes autres immondices, qui pourront gater les eaux de ladite Becque, sans pourtant résoudre le problème puisque le dernier point de l’arrêt précisait Nous réservant pour la commodité et l’utilité du commerce, de permettre aux Peigneurs de laines, qui ont des fosses voisines de ladite Becque, d’y laisser écouler une fois chaque année, les eaux desdites fosses qui auront servi à laver leurs laines, dans un temps marqué, et après qu’on aura reconnu que l’écoulement de ces eaux ne pourra nuire à celle des Fossets du Château86.
- 87 L’édit royal du 10 mars 1776 interdit d’enterrer dans les églises, chapelles et oratoires ; il étai (...)
- 88 AMR, DD-4.
- 89 AMR, BB-6.
- 90 De fait, il fallut attendre l’an IV pour que les enterrements se fissent au sud de la ville, sur un (...)
81Les contemporains attribuèrent l’épidémie de 1787 à une autre forme de pollution, celle engendrée par le cimetière. Le lieu devenu trop petit puisqu’on ne pouvait plus enterrer dans l’église87, le Magistrat avait décidé, le 25 février 1777, d’affecter, au nouveau cimetière, 148 verges du terrain de l’hospice appartenant à la paroisse, transfert refusé par l’évêque de Tournai, Monseigneur le prince de Salm-Salm. En 1779, le Magistrat fit simplement dépaver les voies qui donnaient accès à l’église, tout en rappelant qu’il possédait comme ultime ressource, en cas d’épidémie, l’ancienne zone (l’Epidem) située à la limite du bourg où, traditionnellement, on inhumait en cas de peste ; il ajouta d’ailleurs que le choix de 1777 n’était pas forcément judicieux puisqu’il jouxtait l’hospice88. Pourtant, huit ans après cette résolution, une épidémie toucha la ville et le subdélégué de l’intendant ne manqua pas alors de rappeler que, selon les médecins, l’épidémie actuelle est due aux exhalaisons provenant du cimetière et il ordonna, de nouveau, de prendre des mesures de salubrité publique en organisant le déplacement en dehors du bourg ; malgré la décision du transfert sur le terrain communal de l’Epidem89, la force de l’inertie fut telle que rien ne changea jusqu’à la Révolution90.
- 91 ADN, C-220, 7 mai 1787.
82Il est clair pourtant que le déficit naturel de 1787 ne peut être attribué aux seuls miasmes du cimetière. D’aucuns proposaient une explication, sans doute, plus juste. Le procès-verbal relatif à la maladie qui règne épidémiquement au bourg de Roubaix depuis le mois d’octobre dernier la mettait en relation avec l’activité de la paroisse : les laines qui y servent, avant d’etre ouvrées sont lavées et degraissées avec une solution de savon dont il resulte une matière infectante et d’une odeur nauséabonde et dont les exhalaisons pernicieuses sont trés propres à causer ou du moins a entretenir des epidemies du genre dont celle dont il est question91.
- 92 Archives de la Chambre de Commerce de Lille, t. IV, p. 31, 22 septembre 1848.
83L’état sanitaire et de salubrité de la ville, guère amélioré un siècle plus tard, était propice à la propagation des maladies et responsable de la dégénérescence de la classe ouvrière, dégénérescence qui frappe si tristement les yeux et le cœur, et qui trouve l’une de ses premières causes, pour ne pas dire la première, dans les conditions inhumaines et immorales de logement des ouvriers92.
84En 1848, le conseil général du Nord étant favorable à la formation de comités cantonaux de salubrité, Roubaix créa le sien ; constitué, en général, en plus d’un médecin, d’une majorité de représentants de la bourgeoisie manufacturière, juge et partie, il ne pouvait être efficace. La commission communale d’assainissement des logements insalubres ne semble pas avoir été plus active.
- 93 Le fort, oeuvre de véritables « promoteurs » (M. Le Blan, 1980) est un regroupement dense de maison (...)
85Les autorités municipales étaient conscientes de l’urgence de la question, alors que plusieurs épidémies avaient déjà atteint Roubaix. Au printemps 1849, le Docteur Godefroy s’inquiétait ; malgré les quelques progrès déjà réalisés, en particulier dans le quartier du Trichon, il proposait comme mesures urgentes et propres à réduire le risque de contagion épidémique des fosses à ordures maçonnées […] en nombre suffisant dans tous les forts93 ou cours […]. Les fosses seront nettoyées au moins tous les 15 jours l’hiver et tous les 8 jours l’été.
86Plusieurs forts […] offrent des habitations malsaines et mal ventilées, ils présentent au milieu de leurs carrés chacun un vaste terrain propre à aérer les habitations ; mais ces terrains sont plantés de quantités d’arbres en pleine végétation qui nuisent considérablement à la circulation de l’air : ces arbres doivent être abattus.
87Les ruisseaux et les fils d’eaux seront l’objet d’une surveillance particulière.
88Les latrines en mauvais état dans beaucoup d’endroits seront convenablement réparées et devront fermer au moyen d’une porte.
- 94 AMR, 5 Ia 1/5, extrait du rapport Godefroy, en date du 20 mars 1849.
89[…] Il serait encore bon que les propriétaires qui ont l’intention d’élever des maisons d’ouvriers dussent consulter le comité de salubrité avant d’obtenir l’autorisation de bâtir. De cette façon, on ne verrait peut-être plus édifier des maisons à étage ne prenant jour que d’un seul côté dans de toutes petites ruelles où l’air et le soleil ne se rencontrent presque jamais94.
- 95 Un tiers de la population y vivait en 1861 ; sur les courées, voir J. Prouvost, 1969.
- 96 AMR, 5 Ia 1/56, rapport de la commission d’assainissement des logements insalubres concernant la ré (...)
- 97 AMR, 5 Ia 1/57, lettre de F. Bonte au maire de Roubaix, 4 octobre 1855.
- 98 AMR, 5 Ia 1/58, rapport du commissaire de police de Roubaix, 6 octobre 1855.
90De fait, certains propriétaires n’hésitaient pas à construire des courées totalement insalubres95 : ainsi François Bonte en fit bâtir une, contenant deux maisons à étage et derrière ces maisons huit autres plus petites formant une courée. Ces dernières sont basses, adossées les unes aux autres, ne prenant jour que d’un seul côté, et conséquemment mal aérées et mal ventilées. Lors de la construction, le propriétaire ne s’est nullement préoccupé de l’écoulement de ses eaux, ce qui le prouve c’est que les maisons et le sol de la courée sont en contrebas du chemin public. Lors de notre visite, au moment de pluies abondantes, il y avait dans certains endroits de la cour, une hauteur d’eau de 30 centimètres environ, deux enfans sont tombées en notre présence, et l’un d’eux eut pu se noyer si on ne lui eut porté secours96. Bonte s’était adressé au maire, au début d’octobre 1855, pour que la mairie fît le nécessaire parce que, suite à des pluies, les maisons étaient remplies d’eau, et pluviales et ménagères ; ces eaux croupissantes exhalent des émanations insalubres, causent des accidents parmi une population de locataires composée d’environ quatre-vingts personnes, hommes, femmes et enfans97. Le commissaire de police, plus explicite encore, évoquait une mare d’eau stagnante et pestilentielle sur une profondeur de 30 centimètres à l’entrée du passage étroit qui conduit sur le derrière des maisons du sieur Bonte ; ce passage remplissant en rien le but de son usage, est formé d’une terre glaize, mélée de cendres, qui se décompose et forme une boue infecte par suite du séjour des eaux ménagères et même des immondices qu’on y jette et il rendait responsable non les eaux de pluie mais bien le mauvais état dans lequel se trouvent les étroits passages, du nombre trop grand de maisons qu’il a voulu bâtir sur un petit terrain98. Le commissaire et la commission d’assainissement concluaient à la responsabilité de Bonte qui, seul, devait remédier aux nuisances.
- 99 AMR, 5 Ia 1/61, rapport au conseil central d’hygiène et de salubrité du département du Nord, Lille, (...)
91L’industrie, au cœur de la ville, participait comme un siècle plus tôt à l’insalubrité chronique : en 1856, des habitants de la rue du Temple se plaignaient des eaux grasses provenant de la filature de soie du Sieur Lepoutre Parent ; le conseil central d’hygiène et de salubrité du département envoya sur place une commission qui constata la vérité des motifs allégués par les plaignants. Ayant reconnu que si les eaux chargées de principes éminemment fermentescibles, stagnant dans un fossé constituaient en hiver les inconvénients très sensibles d’une décomposition putride, elle concluait qu’ils devaient être insupportables dans les autres saisons et intéresser ainsi fortement la salubrité99.
- 100 AMR, 5 Ia 1/86, séance du 28 août 1860 du conseil municipal.
- 101 AMR, 5 Ia 1/96, extrait du rapport fait au Conseil central d’Hygiène et de salubrité du département (...)
92Des rapports rédigés par le conseil d’hygiène et de salubrité offrent une vision nuancée des progrès accomplis : Le canal de Roubaix […] a perdu l’odeur infecte que ses eaux répandaient naguère, surtout parce qu’on n’y laisse plus écouler les eaux de lessivage de laine, mais les eaux ont conservé leur coloration. […] L’Espierre et le Trichon sont les égouts de Tourcoing et de Roubaix. Cette dernière ville consent à se conformer aux mesures de purification ordonnées par le Préfet mais Tourcoing refuse d’y contribuer100. La lenteur des améliorations et la paralysie du comité sont confirmées par le rapport adressé, en 1861, au Conseil central d’Hygiène et de Salubrité du Nord : les signataires signalaient au Préfet un ordre de choses essentiellement regrettable ; c’est que s’il existe à Roubaix une commission cantonale d’hygiène publique, l’autorité locale ne la réunit jamais et ne la consulte pas ; si très rarement elle est consultée, ces rapports viennent s’annihiler devant l’omnipotence de l’industrie locale qui ne tient aucun compte des lois relatives à la salubrité puis rester sans effets au fond des cartons de l’Administration municipale. Les membres de la Commission se disaient blessés par de semblables procédés, se découragent, et, voyant qu’ils ne sont pas pris au sérieux et que leurs efforts ne rencontrent aucun appui de la part de l’autorité s’abstiennent même de se réunir car, parmi eux, […] où l’élément industriel a la majorité, toutes les questions de salubrité ayant trait à l’intérêt général sont étouffées en naissant101.
- 102 AMR, 5 Ih 2/1.
93Dans ces conditions, la situation se révélait, en cas d’épidémie, absolument catastrophique, comme en témoigne le rapport du directeur des travaux municipaux, envoyé au maire le 14 janvier 1865102 pour lui exposer les craintes du public au sujet de l’épidémie qui s’est déclarée à Roubaix. La petite vérole sévit d’une manière terrible, telle que l’on peut la comparer à celle du temps de Louis XV. Or un fait très palpable c’est que à peu d’exception près, elle reste confinée dans les quartiers les plus malsains ; là, où le balayage est impossible, où le pavage est absent [suit la liste des rues les plus touchées, dans les quartiers les plus populaires]. Le directeur proposa non point des demi-mesures mais la prise d’urgence de prompts moyens d’assainissements. La liste mérite d’être citée car elle permet de saisir, en négatif, la situation de la ville sous le Second Empire :
1. faire enlever sans délai, les immondices qui couvrent la surface des rues non pavées, au moyen de brigades d’ouvriers et de tombereaux pour l’écoulement des eaux ;
2. interdiction de toute urgence de déposer les produits de balayage au chemin de l’Hommelet ;
3. charger une brigade d’agents de police de veiller à ce qu’à l’avenir les détritus de ménage ne soient point jetés dans les rues non pavées ;
4. ordonner un balayage double et un enlèvement complet des boues, dans la journée, dans toutes les rues de la ville indistinctement ;
5. nommer une commission spéciale chargée de surveiller l’exécution de ces mesures et vous en rendre compte jour par jour, ainsi que de vous proposer d’autres mesures qui lui paraîtront nécessaires. Avant la formule de politesse, le directeur lançait un ultime signal d’alarme : Le temps presse.
- 103 Dr A. Faidherbe, 1895-1896.
- 104 L. Reybaud, 1867.
94L’insalubrité favorisait également la diffusion de certaines maladies contagieuses : Les eaux sont un autre moyen de contagion qui provoque cependant moins souvent l’apparition de la diphtérie que celle de la fièvre typhoïde103. En fait, à l’origine de la propagation de la maladie se trouvent l’ensemble des conditions de vie auxquelles étaient soumis nombre d’habitants, surtout ceux logés dans les forts et courées, réceptacle d’immondices et d’eaux croupissantes qui devaient en faire un foyer pestilentiel104. Près de trente ans plus tard, le docteur Faidherbe en tirait les conséquences sur le plan médical : Dans un fort qui comprend encore 110 habitants, nous avons, en moins de 20 mois, observé quatre cas de fièvre typhoïde classique, dix-sept cas de gastro-entérite fébrile chez des adultes ou des enfants, quatre cas de diarrhée verte infectieuse et enfin un cas de choléra infantile, soit un ensemble de 26 affections du système digestif dont 3 mortelles sur 110 personnes : encore certains cas de gastro-entérite pourraient-ils passer pour des cas de typhus abortif. Or, le fort dont nous parlons est composé de vieilles maisons, dont beaucoup sont mal pavées ; les puits y sont insuffisants et donnent une eau défectueuse, certainement mélangée à des matières organiques qui proviennent des eaux ménagères, jetées à même sur le terrain dépourvu de pavés et d’aqueducs. Aussi pouvons-nous affirmer que le sol est imprégné de matières putrescibles dont les résidus de fermentation vont souiller l’eau des puits. Il est donc infiniment probable que les diverses affections que nous avons observées, sont dues uniquement à la pollution du sol.
- 105 Dr A. Faidherbe, 1895-1896.
95Ce que nous avons remarqué sur ce point, la plupart de nos confrères ont eu l’occasion de l’observer dans les divers quartiers de la ville et la conviction de tous est que le sol est fortement infiltré et qu’il n’y a qu’un petit nombre de puits, en état de donner une bonne eau : encore ces puits eux-mêmes sont-ils menacés d’être souillés dans un délai plus ou moins court105.
96Les Roubaisiens souffraient, en outre, du manque d’air, d’une atmosphère confinée et polluée, en raison de l’activité usinière. Comment arriver à rendre de l’oxygène aux habitants des cités où l’air circule mal et n’est jamais pur, où l’intoxication carbonique chronique se fait d’une manière lente, continue et malheureusement trop certaine ? […]
97Le grand danger des villes, c’est surtout l’entassement des individus les uns sur les autres, entassement qui fait resserrer de plus en plus la superficie, réservée à chaque individu, et par suite aussi restreindre le cube d’air qui lui est dévolu. De là ces logements insuffisants et trop étroits, ces maisons sans cour, ces bâtiments à plusieurs étages qui empêchent l’air et la lumière de circuler […].
- 106 Ibidem, 1895-1896.
98Ces mauvaises habitudes, nous les avons constatées cent fois, et rarement nos avis ont prévalu contre les craintes du froid qu’entretiennent soigneusement toutes les commères du voisinage : souvent il n’y a pas moyen de respirer dans les maisons d’ouvriers […]. Ajoutez à cela l’odeur de la graisse et la fumée des pipes et vous vous demanderez comment il est possible de soigner et de guérir dans un pareil milieu un enfant, atteint de bronchopneumonie ou de toute autre affection des voies respiratoires qui demanderait un air pur et une température constante et modérée. Certaines coutumes régionales aggravaient les risques de contagion, ainsi celle des « coulonneux », éleveurs de pigeons voyageurs : l’une des sources de contamination de la diphtérie pouvait être la dipthérie des oiseaux et des chats dans une ville qui compte de nombreux pigeonniers, souvent fort mal aménagés dans des locaux exigus106.
- 107 AMR, F V 9/18, rapport établi en 1892 par les autorités municipales en réponse au questionnaire du (...)
99Même si elle ne pouvait intervenir sur la voirie privée réalisée par les propriétaires qui construisaient forts et courées, la municipalité n’était cependant pas restée totalement inactive : des travaux avaient été menés, le réseau des égouts, manifestement insuffisant, refait et développé. Mais le problème de l’alimentation en eau potable n’avait toujours pas été réellement réglé : de l’aveu même des autorités, il manquait à la santé publique une distribution d’eau potable. Un projet en voie d’exécution devait amener les eaux de la vallée de la Scarpe107. La commission cantonale d’hygiène et de salubrité de Roubaix était encore obligée, dans sa séance du 12 juillet 1892, d’émettre le vœu que les rues particulières qui sont souvent des foyers d’infection à cause de la stagnation des eaux, et de la fermentation et de la décomposition chimique des matières organiques soient mises le plus tôt possible en état de viabilité et de salubrité.
-
Par la création de fils d’eau et d’égouts ;
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Par l’enlèvement méthodique des immondices […].
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- 108 AMR, 5 Ia 1/120, Extrait du registre des délibérations de la commission cantonale d’hygiène et de s (...)
Par le revêtement de la chaussée destiné non pas seulement à rendre plus commode la circulation dans ces milieux ouvriers, mais encore à protéger l’air de la rue contre les émanations du sol108.
100Nourriture insuffisante en quantité ou en qualité, manque d’hygiène, insalubrité, médecins en trop petit nombre et méfiance envers la médecine et ses praticiens, cette conjonction explique largement la forte mortalité roubaisienne mais il est vrai que la mort ne frappait pas avec la même intensité tous les Roubaisiens, l’âge, le sexe et la condition sociale étant trois variables importantes et l’inégalité s’aggravait encore en cas d’épidémie.
Le choléra, « maladie épidémique du pauvre »109
- 109 Progrès du Nord, 8 décembre 1866.
- 110 AMR, 5 Ih 1/41-44.
- 111 Le Dr Villermé a rappelé la responsabilité de la salubrité dans la propagation de l’épidémie, la sa (...)
- 112 Cf. supra, p. 288, AMR, 5 Ih 1/322. Les résultats sont identiques pour Lille, M. et Ch. Engrand, 19 (...)
- 113 Certains contemporains y virent la conséquence de la fragilité de leur système nerveux : les femmes (...)
101Si les causes des surmortalités du xviiie siècle ne sont pas toujours bien connues, il n’en va pas de même pour le siècle suivant. En 1832, dans un contexte économique encore marqué par la crise grave de l’année précédente, l’attaque de la deuxième pandémie de choléra resta fort limitée à Roubaix : 19 victimes du 11 août au 11 décembre110. Mais l’épidémie fut socialement très sélective puisque trois quarts des morts étaient qualifiés de journaliers, tisserands et de redoubleuses111. Beaucoup vivaient dans le quartier populeux et insalubre du Trichon112. Un dixième des victimes étaient âgées de moins de 10 ans et près de la moitié de 50 ans et plus, et les femmes furent davantage touchées113. On retrouve donc ici la triple caractéristique de la cible privilégiée de l’épidémie : la pauvreté, l’âge, le sexe féminin aggravaient le risque de mort.
- 114 Selon un rapport, établi au début de l’année 1849, portant sur les victimes parmi les personnes hos (...)
- 115 AMR, 5 Ih 1/94. Cette coïncidence avait déjà été relevée lors de la deuxième pandémie en Europe de (...)
- 116 AMR, 5 Ih 1/113 et 5 Ih 1/102.
- 117 AMR, 5 Ih 1/75.
102La même situation se renouvela quand Roubaix, qui avait souffert en 1847 et 1848 d’une augmentation de la mortalité due au typhus114, subit une deuxième attaque de choléra au début de 1849 ; il fallut cependant attendre la fin avril pour pouvoir réellement parler d’épidémie. Parmi de nombreux documents, un texte intitulé Notes relatives à l’invasion du choléra à Roubaix en 1849, en date du 16 septembre 1849 établi par le Dr Godefroy, constitue un témoignage précieux : Le choléra fit invasion dans notre ville au mois de février dernier ; notre infect et boueux canal lui servit de berceau ; ce fait était du reste facile à prévoir, chacun connaît maintenant la prédilection du choléra dans son mode de propagation pour les cours d’eau en général, et pour les rivières insalubres en particulier115. Le médecin dressa, jour après jour, un tableau de la progression en notant les quartiers les plus touchés, en particulier celui du canal puisque les premières victimes y résidaient ou travaillaient chez un riverain. Le rôle du canal comme vecteur de la contagion est davantage encore mis en évidence par le décès au début mai d’un enfant de batelier venant de Tournai où le choléra sévissait. Dès lors, le nombre de victimes s’accrut rapidement avec un maximum de 171 morts pour août (355 cas dénombrés à la date du 15 septembre par le médecin et un total de 510 morts pour l’année, selon le tableau fourni par la mairie et 518 morts pour 1 521 malades, selon un document concernant les dépenses engagées lors de l’épidémie116). Sur les 176 personnes hospitalisées de février à la fin du mois d’août, 80 % étaient qualifiées de journaliers, journalières et ménagères117. Sur les 510 décédés, 38 % avaient moins de 10 ans et 13 % plus de 60 ans.
- 118 AMR, 5 Ih 1/322. Cette atteinte épidémique intervint, après un hiver particulièrement difficile sur (...)
103Lors de l’épidémie de choléra du 25 mai au 25 octobre 1854, 21 victimes « seulement » furent dénombrées. Du moins, retrouve-t-on les trois caractères déjà évoqués : surmortalité des plus jeunes et des plus âgés, des femmes ; la moitié des victimes étaient des ouvriers et des domestiques118.
104En 1865, 65 personnes furent touchées par le choléra dont près de la moitié décéda. Toutes appartenaient à la classe ouvrière. Les diverses listes de victimes précisant lieu de naissance et surtout adresse permettent de brosser un tableau encore plus sombre des conditions de vie dans certaines courées de Roubaix. Dans la cour Destombes, située rue du Bois, on dénombra 19 des 65 personnes atteintes ; or, lors du recensement de 1866, la cour comptait 44 personnes dans 12 maisons : près d’un tiers de la population de la cour aurait donc été touché, et peut-être, en imaginant que la population était déjà totalement reconstituée l’année suivante, 43 %. En 1866, 947 habitants vivaient dans la rue de l’Epeule, soit 1,46 % de la population totale, or 37 % des cas de choléra y furent recensés en 1865. Ces deux exemples montrent combien l’épidémie était sélective géographiquement et socialement.
- 119 Il s’agit de la date du premier décès mais en fait un garçon fut contaminé dès le 7 juillet, AMR, 5 (...)
- 120 La différence tient sans doute à la composition sociale, au poids encore plus important de la class (...)
105Une très grave épidémie de choléra toucha de nouveau Roubaix du 9 juillet au 1er novembre 1866, soit pendant trois mois et trois semaines119. Sur une population estimée par les autorités à 65 091 habitants (alors que le recensement de 1866 donne une population de 64 706), 5 127 personnes tombèrent malades (soit 7,87 % contre seulement 3,19 % à Lille et 0,15 % à Tourcoing). 43 % d’entre elles décédèrent, soit plus de 3 morts pour 100 habitants (les pourcentages respectifs pour Lille et Tourcoing sont de 1,43 et 0,10)120.
- 121 AMR, 5 Ih 2/189, 2/191-192, 2/194, 2/196, 2/198, 2/200, 2/202-208, 2/211, 2/220.
106L’épidémie choisit ses victimes particulièrement parmi les moins de 15 ans (35 % des morts) et parmi les femmes, au-delà de cet âge. La comparaison de la répartition des décès cholériques par âges avec celle de la population recensée en 1866 (cf. Graphique VI.9) montre bien la surmortalité des enfants jusqu’à 10 ans, puis à partir de 30 ans, particulièrement accentuée de 40 à 50 ans. A Roubaix, comme ailleurs, le choléra atteignit les adultes à partir de 30 ans. Les états sanitaires conservés qui concernent environ le quart des malades permettent de localiser les secteurs les plus touchés121 : quartier de l’Epeule, près de l’Abreuvoir, Fort Frasez et les quartiers fort peuplés et fort populaires comme celui de Blanchemaille qui, très touché en 1849, le fut de nouveau en 1866, avec 13 % des habitants du Fort Bayart atteints soit 63 personnes dont près de la moitié d’enfants. Il est intéressant de constater que ces forts n’étaient pas uniquement occupés par des ouvriers du textile : parmi les adultes touchés par le choléra, figurent un terrassier, un maçon, un cabaretier, un cordonnier, un tailleur mais aussi, a priori plus surprenant, un agent de police, homme du peuple qui, simplement, avait réussi à quitter la manufacture. Dans l’ensemble, la classe ouvrière paya un lourd tribut à la maladie : 52 % des professions connues relèvent de l’industrie textile et même 58 % si l’on y inclut les journaliers. L’analyse faite par des contemporains à propos de Lille s’appliquait parfaitement à Roubaix : le choléra tuait plus les pauvres, du fait de leurs conditions de vie particulièrement difficiles, du fait de leur misère sociale mais aussi culturelle.
107Exacerbée en cas d’épidémie, l’inégalité sociale face à la mort se manifestait également au quotidien, dans l’atelier.
« Le textile mangeur d’hommes »
- 122 « Ces divers facteurs de mortalité sont interdépendants - la profession est liée à l’instruction, l (...)
- 123 ADN, M 475/120, Professions des décédés à Roubaix en 1864.
- 124 AMR, F1 b1/10, questionnaire de l’an IX. Cela se traduisait, selon la réponse, par l’analphabétisme (...)
- 125 AN, C 3019/1, Enquête parlementaire sur la situation des classes ouvrières en France, réponses de L (...)
- 126 AN, C 3019/1, réponses de Lefebvre-Ducatteau, pièce 38, f° 6.
- 127 AN, C 3019/1, réponses de la Chambre de Commerce de Lille, pièce 76, f° 6.
108Certes la profession n’est qu’une variable parmi d’autres dans l’analyse de la mortalité différentielle122. Du moins, la surmortalité ouvrière ressort à l’évidence des statistiques qui corroborent le dicton populaire : en 1864, 90 % des décès touchèrent des ouvriers industriels123. De 1866 à 1888, les ouvriers industriels représentèrent toujours les quatre cinquièmes des morts, le pourcentage pouvant même atteindre 94 % pour les seuls décès d’enfants. De fait, les enfants travaillaient très tôt et cela ne pouvait que nuire à leur santé et réduire leur espérance de vie : les ouvriers pensent plutôt à apprendre à leurs enfants à faire des épeules dès qu’ils ont 4 à 5 ans que de leur faire apprendre à lire et à écrire124. Trois quarts de siècle plus tard, les enfants trouvaient encore à travailler à partir de 12 ans minimum et souvent 13 et 14 ans. La durée du travail est la même que pour les ouvriers sauf les heures d’école, où jusqu’au certificat d’instruction élémentaire, ils sont tenus de se rendre. Le député Descat précisait : les enfants occupés dans les manufactures ont ordinairement un travail d’une durée égale à celle des ouvriers plus âgés mais le labeur est beaucoup moins fatigant. La Chambre de Commerce de Lille évoquait aussi des enfants employés à l’âge de 10 ans environ à temps réduit et même des enfants dans les manufactures dès l’âge de 8 ans, y travaillant 8 heures par jour de 8 à 12 ans125. Leur santé en pâtissait gravement. Les patrons en étaient assez conscients, Lefebvre-Ducatteau l’admettait, tout en faisant une analyse qui lui permettait d’en rejeter la responsabilité sur l’ouvrier lui-même : L’influence du travail industriel a été, il faut en convenir, assez mauvaise tant sur le développement physique que sur le niveau moral des enfants. La population est assez chétive, mais il faut l’attribuer non pas tant au travail ni aux conditions hygiéniques de nos ateliers, qu’à l’immoralité qu’amène le contact journalier d’enfants et jeunes filles avec des hommes adonnés à l’ivrognerie souvent, et à la débauche, et d’une éducation grossière. L’exemple souvent mauvais et les excitations de tout genre, en pervertissant le moral des jeunes gens leur fait contracter des habitudes vicieuses qui influent sur leur développement physique, d’une façon pernicieuse126. La Chambre de Commerce de Lille trouvait, quant à elle, le travail industriel nullement nuisible au développement physique des enfants. La principale cause de l’immoralité c’est l’agglomération ; c’est le contact de ces masses où le bon exemple et l’amour propre font généralement défaut127. Mais les industriels se gardaient bien d’évoquer les enfants obligés, au péril de leur vie, de ramper sous les métiers en marche pour rattacher les fils ou de grimper dessus pour replacer la courroie de transmission. Il est vrai que les industriels avaient par trop tendance à contourner les lois sur le travail des enfants ; lorsque la loi de 1892 organisa l’inspection du travail, le chef de gare avertissait par téléphone les industriels roubaisiens de l’arrivée de l’inspecteur.
- 128 AN, C 3019/1, réponses de la maison Darras-Lemaire, peignage de laine, filatures de laines peignées (...)
109De fait, les conditions de travail étaient déplorables, bien loin des tableaux idylliques dressés par les industriels. Paul Darras semblait globalement satisfait des conditions qui régnaient dans ses entreprises : l’hygiène des filatures de coton et de laine peignée ne laisse absolument rien à désirer. Le lavage seul dans les grandes industries de peignage laisse inévitablement à désirer. Les filatures de lin seules sont complètement malsaines128. Même partiel, l’aveu de l’insalubrité est fait.
- 129 Y. Lequin, 1977.
- 130 La taille moyenne de 1,65 m en 1863 atteignit un maximum de 1,7 m de 1869 à 1874, pour reculer ensu (...)
- 131 Les statistiques officielles ne faisaient malheureusement pas état de la profession des conscrits. (...)
110Il est évident que de telles conditions de travail et plus généralement de vie rejaillissaient sur la santé des individus. Les « stigmates de la condition ouvrière »129 sont visibles, au moins pour les garçons, à travers les renseignements fournis par la conscription. La taille moyenne du conscrit des cantons de Roubaix diminua même à partir de 1875130. L’autre indice de l’état sanitaire de la population masculine concerne les réformés pour infirmités diverses ou pour défaut de taille ; pour les classes 1864 à 1889, on compta, en moyenne, un exempté sur quatre, preuve du mauvais état de santé des hommes de Roubaix131.
- 132 AMR, 5 Ia 1/106, Rapport général sur les travaux des commissions cantonales de salubrité du départe (...)
- 133 Journal de Roubaix, 6 et 7 novembre 1883. Une souscription fut lancée au profit des victimes et de (...)
111L’industrie provoquait des accidents, source d’invalidité et de misère, l’industrie tuait aussi brutalement. La commission de salubrité de Roubaix, tout en constatant la bonne tenue des fabriques, faisait remarquer la fréquence des accidents généralement causés par l’imprudence ou la négligence des victimes et ajoutait qu’il serait utile de tenir plus sévèrement la main à l’exécution des règlements de police intérieure132. De nombreux accidents, plus ou moins graves, émaillaient le quotidien : ainsi, le registre des décès du 5 novembre 1883 nous apprend que 11 jeunes piqurières trouvèrent la mort à l’usine Dillies, rue des Filatures, auxquelles s’ajoutèrent peut-être celles qui, par la suite, périrent de leurs blessures. Le Journal de Roubaix du lendemain relatait qu’un incendie s’était déclaré au premier étage au-dessus des générateurs. […] Quatre ouvrières, surprises par le feu, ont voulu sauter par une fenêtre du premier étage sur la rue. L’une d’elles a été tuée sur le coup, les trois autres sont horriblement blessées. Le 7 novembre, il était précisé que l’incendie avait été provoqué par une bouteille de benzine renversée au moment même où on allumait le gaz, la benzine s’enflammant elle fit exploser une tourie de benzine ; les ouvrières cernées par les flammes appelèrent au secours, un certain nombre parvient à s’échapper par le toit, une quinzaine horriblement brûlées s’élancent par les fenêtres et tombent d’une hauteur de six mètres […], les unes sont tuées sur le coup, les autres grièvement blessées […]. Les cadavres portent les traces d’affreuses brûlures. Les plus jeunes avaient 16 et 17 ans, les plus âgées 30 ans (une veuve) et 33 ans133.
- 134 AN, F/8/16 ; ces informations chiffrées portent sur Roubaix et Tourcoing. A Roubaix, la première de (...)
112L’industrie était également accusée d’être à l’origine d’épidémie, comme celle de 1812 qui, officiellement, toucha les ouvriers de la manufacture de coton. Le registre des épidémies la situe de fin octobre 1812 à fin juillet 1813, avec une intensité maximale en juin 1813. Il s’agissait d’une fièvre gastro-adynamique ayant caractère contagieux quoique rarement pernicieux. […] Sa propagation fut due au grand nombre de malades rassemblés dans des locaux étroits. Sur environ neuf cent vingt individus atteints, elle a compté cent deux victimes134. L’état des individus morts pendant les six derniers mois de 1812 révèle l’appartenance sociale des victimes : parmi les 51 adultes de 20 à 59 ans, 28 étaient des journaliers et 10 des tisserands ; en revanche, il n’y avait que 4 fabricants et les artisans étaient peu représentés. Les victimes les plus nombreuses étaient les plus fragiles, les moins résistantes à toute attaque de la mort quelle qu’en fût la nature : plus d’un cinquième des morts avait moins de deux ans et presque un quart, 60 ans et plus. Les atteintes de la fièvre typhoïde furent donc particulièrement graves dans le monde ouvrier qui paya le plus lourd tribut.
- 135 Dr A. Faidherbe, 1895-1896.
113Le travail en atelier, à l’usine prédisposait, en général, à la mauvaise santé et à certaines maladies. Donnons d’abord la parole au médecin, témoin privilégié des ravages de la tuberculose. A Roubaix surtout, une cause qu’il est très important de signaler, est la pneumokoniose, c’est-à-dire l’engorgement du poumon par les fines particules de laine et de coton et les poussières de toutes sortes qui sont constamment en suspension dans l’atmosphère des usines : la présence de ces corps étrangers détermine vers les bases une pneumonie chronique qui parfois simule la tuberculose à s’y méprendre, mais bien souvent en facilite le développement. […] Enfin, parmi les causes adjuvantes, nous devons signaler les séjours prolongés dans une atmosphère limitée, humide et chaude, le manque d’exercice au grand air, l’alimentation insuffisante, tant en qualité qu’en quantité, les excès de tous genres, etc.. Les ateliers étaient des lieux propices à la contagion quand il s’y trouve des ouvriers atteints eux-mêmes qui répandent leurs crachats sur le sol135. Le Dr Faidherbe estimait, pour les années 1889-1891, la tuberculose responsable de 11 à 16 % des décès auxquels il fallait ajouter les morts annexes. Habituellement, les maladies de l’appareil respiratoire représentaient, quant à elles, entre un quart et un tiers des décès dans la deuxième moitié du siècle.
- 136 E. Verhaeren.
Aux carrefours, porte ouverte, les bars :
Etains, cuivres, miroirs hagards,
Dressoirs d’ébène et flacons fols
D’où luit l’alcool
Et son éclair vers les trottoirs
Et des pintes qui tout à coup rayonnent,
Sur le comptoir, en pyramides de couronnes ;
Et des gens soûls, debout,
dont les larges langues lappent, sans phrases,
Les ales d’or et le whisky, couleur topaze136.
- 137 Dr A. Faidherbe, 1895-1896.
114Enfin, seconde plaie qui décime à notre époque l’espèce humaine, l’alcoolisme était aussi fortement responsable de la surmortalité roubaisienne ; il produisait des effets aussi désastreux que la syphilis, puisque, comme elle, il débilite et tue l’individu, tout en compromettant des facultés génésiques et en frappant sa postérité de déchéance congénitale137. Le médecin énumérait les conséquences de l’alcoolisme sur la santé en raison de la consommation courante des alcools de grain, de pommes de terre, de betteraves, donc des alcools dits industriels : conséquences sur l’estomac, le foie, le cœur et les vaisseaux, les poumons et l’action prédisposante de l’alcoolisme pour la tuberculose, l’appareil génito-urinaire et surtout le système nerveux et en particulier le cerveau d’où la folie ; les maladies du système digestif, en temps normal, représentaient, avec 14 à 22,5 % des cas, la deuxième cause de décès, celles du système circulatoire de 5 à 7 % et celles du cerveau et du système nerveux de 9 à 14 % des cas.
- 138 Sous l’Empire, un individu consommait en moyenne 192 litres de vin et 6,5 litres d’alcool par an à (...)
- 139 La forte mortalité alcoolique des cabaretiers et aubergistes britanniques au xixe siècle se retrouv (...)
- 140 Estimation de l’évolution de la consommation par période quinquennale de 1866 à 1891, d’après les d (...)
115Comme toutes les affections et tous les traumatismes sont beaucoup plus aigus chez les alcooliques, on comprend d’autant mieux le déplorable état sanitaire de la population. Comme d’autres villes industrielles138, Roubaix, avec ses ouvriers, ses Belges, n’échappait pas au fléau. On buvait donc, les ouvriers de la bière et du genièvre, la bourgeoisie, plutôt du vin et des liqueurs plus relevées. De fait, il était particulièrement aisé de s’approvisionner dans une ville où le nombre des débits de boissons recensés avait triplé depuis 1863 sans compter les clandestins, sans même parler des épiceries et débits de tabac qui vendaient en même temps liqueurs et bières à consommer sur place139. La consommation de bière connut une progression significative dans la seconde moitié du siècle, de 149,14 litres par personne en 1866 à 184,73 litres en 1886, 208,93 en 1891 et même un record de 250,7 litres pour la seule année 1893140. Même si, à la population qui comptait, à la fin du siècle, plus d’adultes du fait de la réduction de la natalité, il faut ajouter un nombre croissant d’ouvriers qui venaient à Roubaix pour la journée, la consommation moyenne n’en reste pas moins impressionnante.
- 141 AMR, 5 Ia 1/92 et 5 Ia 1/106, Rapports généraux sur les travaux des commissions cantonales de salub (...)
- 142 Certains ouvriers étaient encore capables, « contraints » de travailler très âgés. Les témoignages (...)
- 143 Souligné dans le texte, AN, C 3019/1, réponses de Lefebvre-Ducatteau frères, fabricants de tissus à (...)
- 144 AN, C 3019/1, réponses de M. Descat, député du Nord, pièce 65, f° 3.
- 145 AN, C 3019/1, réponses de la Chambre de Commerce de Lille, pièce 75, f° 2 et pièce 76, f° 3.
- 146 AN, C 3019/1, réponses de MM. Darras-Lemaire, filateurs à Tourcoing, pièce 54, f° 3.
116A tous niveaux, le mal était dénoncé. La commission départementale de salubrité ne cessait de regretter la trop grande diffusion de l’ivrognerie, même parmi les femmes : l’extension qu’a prise ces dernières années la fabrication de l’alcool, la modicité du prix de cette denrée, ont poussé la population à l’abus des boissons fermentées. […] La paresse et l’abrutissement sont les conséquences […] et conduisent à la ruine ceux qui y sont adonnés. Le vin n’entre qu’en faible quantité dans la consommation de la classe ouvrière, mais en revanche l’alcool est sa boisson favorite. […] Il est des communes où les femmes elles-mêmes s’enivrent avec cette détestable boisson141. Le patronat mettait également en cause l’abus d’alcool. Dans l’enquête déjà évoquée, à la question sur l’âge auquel les ouvriers pouvaient continuer à se livrer au travail industriel142, l’industriel Lefebvre-Ducatteau répondait : Dans les groupes ouvriers environnant les villes jusque 65/70 ans. Dans les villes, les abus principalement l’ivrognerie les casse (sic) plus tôt. […] La partie flottante de cette population surtout dans les grands centres est assez immorale. Le grand vice est l’ivrognerie poussée dans nos contrées à sa plus grande extension ; même des hausses de revenus étaient, selon l’industriel, néfastes : Ils ont contracté des habitudes de dépense, se sont habitués au superflu, et surtout se sont adonnés de plus en plus à la fréquentation des cabarets. La plus grande cause de dissipation des salaires, peut-être l’unique est le cabaret pour les hommes. L’enquête cherchant à connaître les efforts tentés pour prévenir ou combattre les habitudes d’intempérance, Lefebvre-Ducatteau précisait : La seule chose tentée (et sans grand succès, dans un pays où l’ivrognerie est trop répandue) a été la fondation de sociétés, où les ouvriers trouvent des distractions honnêtes les dimanches et fêtes143. Le témoignage du député Descat, à propos des communes de Croix, Wasquehal et Flers, était tout aussi accablant : Pour combattre l’intempérance, rien n’a été fait, au contraire ; chaque jour on accorde de nouvelles permissions d’ouverture de cabaret. Le nombre des établissements a été multiplié par 3 depuis 10 ans et tel cabaretier qui était obligé d’avoir un autre métier, vit aujourd’hui lui et sa famille avec le revenu de son établissement144. La Chambre de Commerce de Lille, quant à elle, estimait que toute réduction du temps de travail ne profite qu’aux cabarets et prônait, pour combattre l’intempérance, l’interdiction pour les individus ivres de circuler dans les rues en chantant et en cherchant à entraîner les autres ouvriers disposés à travailler ainsi que la fermeture des cabarets après 22 heures145. Paul Darras dont les réponses furent par ailleurs jugées impertinentes se démarquait cependant de ses confrères : La loi sur l’ivrognerie n’est pas appliquée et n’est du reste guère applicable. L’ivrognerie en elle-même n’est guère nuisible, elle est même nécessaire à nos contrées ; patrons et ouvriers, riches et pauvres s’enivrent fréquemment dans le Nord de la France comme en Belgique et en Angleterre, quand le chômage ne la suit pas elle n’est pas très dangereuse146.
- 147 AN, F/1cIII/Nord/8, rapport du préfet du Nord, 11 février 1857.
117Si la consommation abusive d’alcool avait des conséquences évidentes sur la santé (maladie, mort précoce, accident), elle réduisait également les ressources disponibles pour les dépenses alimentaires, pendant les périodes difficiles. Il en allait de même lorsque les salaires augmentaient : l’ouvrier trouve dans l’abondance du travail et dans son salaire qui s’est élevé depuis quelques années, les moyens de vivre et de subvenir aux besoins de sa famille. Les cabarets, où l’ouvrier dépense si facilement ce qu’il gagne, sont malheureusement toujours fréquentés […] plus l’ouvrier gagne, plus il dépense147.
- 148 Professeur Brouardel, Semaine médicale de 1886, cité par Dr A. Faidherbe, 1895-1896.
118Ville sale, polluée, atelier à l’atmosphère irrespirable et rude labeur, logement insalubre…, on comprend dans quelle large mesure sont associées les conditions défectueuses des ouvriers et les habitudes du cabaret. Quand les habitations sont incommodes ou malsaines, l’ouvrier n’y reste que pendant la nuit et souvent il entraîne au cabaret sa femme et ses enfants148.
La médecine à Roubaix
- 149 Contre une pension annuelle de 288 livres, il avait la charge de fournir gratuitement toutes drogue (...)
- 150 La pension de chacun était de 150 livres parisis, AMR, BB 11/7, 10 octobre 1769.
- 151 La pension qui leur fut allouée était de 100 florins chacun mais avec exemption des impositions de (...)
- 152 Réponse à l’enquête faite par le Sieur Lagache, subdélégué du Lieutenant de Flandre et d’Artois, en (...)
119Il est aussi clair que l’encadrement médical – sa qualité, ses effectifs – n’est pas sans influence sur la mortalité. Dès la fin du xviie siècle, des sages-femmes ainsi que des médecins et chirurgiens étaient pensionnés par la paroisse. En 1747, le sieur Cuvelier fut nommé médecin-chirurgien des pauvres149. A partir de 1769, il fut remplacé par deux médecins-chirurgiens, Jean-Jacques Dervaux et Eugène Laroche, chirurgien à Croix150. Restés en fonction pendant quatre ans, ils laissèrent la charge de médecin des pauvres à Mathias Cuvelier et François-Xavier Gorain151. Avant la Révolution, la paroisse comptait des sages-femmes dont le degré de connaissance ne semble pas avoir été fort satisfaisant, même si la première avait fait des études à Paris, et dont l’âge était gage d’une longue expérience. En réponse à l’enquête ordonnée par Calonne en 1786, le bailli échevin présentait les trois sages-femmes exerçant à Roubaix : deux âgées de 71 ans (l’une ayant étudié à Paris avait été reçue sage-femme en 1732, l’autre en 1760) et la troisième, âgée de 47 ans, reçue en 1765. Elles n’exercent leur art que parmi les femmes pauvres et lorsqu’il se remontre dans leurs accouchements quelques difficultés, elles appellent un chirurgien pour les aider, n’ayant jamais lû ni reçû aucune plainte de malversation des sages dames mais elles n’ont point acquis une haute réputation dans la profession de leur art étant cependant nécessaire qu’elles exercent leur profession pour les femmes pauvres attendu le grand nombre qui se trouve dans notre paroisse dont les chirurgiens accoucheurs ne pourroient suffir152.
- 153 Les observations sur leurs talens, leur moralité et le degré de confiance dont ils jouissent sont t (...)
- 154 Si, en 1818 Gauquier, maître chirugien reçu en 1772, avait déclaré ne plus exercer, en revanche, il (...)
- 155 AMR, 5 Ib 2/51 à 54, Statistique du personnel médical au 30 mai 1886. En 1866, dans le Nord, on com (...)
- 156 Il s’agit du rapport entre le nombre de médecins et la population totale ; ce n’est qu’un indicateu (...)
120Avec la Révolution, le souci de contrôler les médecins et officiers de santé, pharmaciens et sages-femmes se développa et, de manière fréquente, furent établies des listes nominatives de ceux qui exercent l’art de guérir, sources au demeurant fort précieuses. La ville comptait en l’an X 3 chirurgiens-accoucheurs et un médecin153. Lentement, à mesure que Roubaix voyait sa population croître, le personnel médical s’étoffait mais sans que les plus âgés cessassent d’exercer154. En 1818, les Roubaisiens disposaient de 4 médecins et d’une sage-femme soit, pour la population estimée à 12 187 habitants en 1820, environ un médecin pour 3 046 personnes. A la fin de notre période, pour 100 299 habitants, la ville comptait 16 médecins, 5 officiers de santé, 5 pharmaciens de première classe et 17 de deuxième classe, 8 sages-femmes de première classe, 9 de deuxième classe, ce qui correspondait à un médecin pour 6 269 habitants (un pour 4 776 si l’on ajoute les officiers de santé qui, aux dires des médecins, prodiguaient des soins de moindre qualité) et à une sage-femme pour 5 900 habitants155. Si l’on s’en tient au seul indice de médicalisation, la paroisse était mieux « équipée » au milieu du xviiie siècle qu’à la fin du siècle suivant156. Pourtant, si le premier xixe siècle correspondit à une amélioration, la croissance fort rapide de la population dans la deuxième moitié du siècle explique qu’il y ait eu comparativement moins de médecins et de sages-femmes en 1883-1886 qu’en 1851. Heureusement cependant, la qualité des soins à la fin du xixe siècle compensait la détérioration du taux de médicalisation.
- 157 Un pharmacien de nationalité polonaise, diplômé de la faculté de Nancy était également enregistré à (...)
121Étant donné la composition de la population, la présence, en 1887, d’un médecin belge diplômé de la faculté de Paris et de 3 sages-femmes belges (dont une flamande) ne peut surprendre157. Ils intervenaient plus facilement auprès des étrangers, en particulier, auprès des femmes néerlandophones.
- 158 AMR, 5 Ib 1/120 à 1/122, documents relatifs à la demande du Dr Philippart.
- 159 AMR, 5 Ib 1/154, demande du Dr Planquart, 25 novembre 1872.
- 160 AMR, 5 Ib 1/91, 1/92 et 1/111.
- 161 AMR, 5 Ib 1/114 et 1/115.
- 162 AMR, 5 Ib 1/126, 1/136, 1/173, 1/200, demandes d’autorisation de l’exercice de la profession.
- 163 AMR, 5 Ib 1/223 à 1/225, Etat nominatif du personnel médical 1883. Il faudrait sans doute y ajouter (...)
122En fait, dès le milieu du siècle, les autorités municipales reçurent plusieurs demandes émanant de citoyens belges, sollicitant l’autorisation de pratiquer leur art à Roubaix. En 1861, Constant Philippart, diplômé de l’université de Louvain, qui exerçait cependant depuis 1847 comme médecin du bureau de bienfaisance et avait acquis la confiance de sa nombreuse clientèle ouvrière, vit sa demande rejetée, sans doute en raison de sa conduite jugée immorale – il vivait séparé de sa femme ! –, du moins exerça-t-il comme officier de santé158. On ne sait rien des résultats de la démarche entreprise en 1872 par le docteur Planquart, également diplômé de Louvain159. Les demandes déposées par des sages-femmes belges furent bien plus nombreuses : en général, la validité du diplôme n’était pas reconnue et l’impétrante devrait se présenter aux examens à Lille160. En mars 1860, le jury médical devant lequel elle fut renvoyée demanda à Rosalie Vermandere, née à Pittem, d’apprendre le français qu’elle déclarait ne pas comprendre161 ! Ce dernier exemple illustre bien le problème linguistique auquel étaient confrontés les Flamands d’où le recours obligé à des sages-femmes belges, certaines suivant simplement leur mari, d’autres peut-être aussi sollicitées par les jeunes femmes néerlandophones vivant à Roubaix. Par la suite, aux diverses demandes, il fut toujours répondu qu’il fallait un diplôme français162. Le rôle de décembre 1883 recensait 15 sages-femmes, dont 7 belges ou nées de parents belges exerçant à Roubaix, ce qui correspondait parfaitement au poids de la communauté belge de Roubaix163. Il est toutefois impossible de dire si, en quelque sorte, les accoucheuses belges « se spécialisaient » dans l’aide apportée à leurs compatriotes ; du moins les actes de naissance qui mentionnent le nom de la sage-femme permettent-ils d’affirmer que les néerlandophones pouvaient aussi assister des parturientes francophones.
- 164 AN, F/1/cIII/Nord/8, compte-rendu de la tournée du préfet du Nord, fructidor an ix.
- 165 Sur le mouvement de médicalisation de l’hôpital, voir J. Imbert, 1993.
123Si les capacités du personnel sont difficiles à évaluer, en revanche, les équipements sont connus et se révèlent très insuffisants. Certes, dès la fin du xve siècle, avaient été fondés par Pierre de Roubaix l’hospice du Saint-Sépulcre et par sa fille Isabeau l’hôpital Sainte-Elisabeth, desservi par les sœurs de l’ordre de Saint-Augustin. Grâce à une donation du chanoine Philippe-Dominique Delespaul, fut créé, en 1698, un premier établissement d’accueil pour les orphelins de la paroisse, nombreux depuis la famine de 1693. Les pauvres invalides y furent reçus à partir de 1726. En 1742, pour remplacer l’édifice en ruines, le Magistrat fit construire la maison des communs pauvres orphelins et invalides, destinée non à soigner mais seulement à assister les plus déshérités, mission cependant accomplie fort imparfaitement : c’est l’image de la misère et du dénuement, point de draps dans les lits, un air de malpropreté sur les malheureux qui y sont164. Cette préoccupation fut longtemps la seule165 ; ce ne fut que le 15 septembre 1828 que le conseil municipal vota la création, au sein de l’hospice, d’un secteur destiné aux ouvriers malades et blessés ; avec une capacité d’accueil de 6 lits, les débuts furent pour le moins modestes. En 1847, sur proposition de la municipalité, la commission de l’hospice décida de construire un hôpital pour 50 lits. En fait, la ville se contenta de louer, avant de l’acheter en 1854, un bâtiment à usage de filature. Cet hôpital dont les religieuses de l’Enfant-Jésus assuraient le service, fut peu à peu agrandi, tout en étant loin de répondre aux besoins de la population (72 lits en 1862). Mais il ne s’agissait que d’un hôpital provisoire et la Chambre consultative des arts et manufactures de Roubaix, à l’origine du projet, lança une souscription, en 1853, pour doter la ville d’un établissement plus en rapport avec sa taille. Installé rue de Blanche-Maille, dans un quartier populaire, non loin de la gare, il fut achevé en 1865.
- 166 AMR, F V 6/267, statistique sur les lits de l’hospice de 1861 à 1871.
- 167 Rapports sur l’administration et la situation des affaires de la ville de Roubaix, de 1866 à 1889.
124Les disponibilités en lits progressèrent mais lentement et de manière très insuffisante : de 1861 à 1871, le nombre de lits de l’hospice passa de 268 à 316, soit une hausse de 18 % alors que la population avait augmenté de 54 % ! On passa d’un lit d’hospice disponible pour 184 personnes à un pour 240 en 1871. Le taux d’occupation ne fut qu’exceptionnellement inférieur à 90 % (en 1870 et 1871)166. Quant à l’hôpital Napoléon III, il disposait à sa création de 247 lits disponibles dont 33 pour les blessés, 115 pour les fiévreux et 99 pour les femmes, auxquels s’ajoutaient 7 cellules pour les aliénés ; cette structure ne varia guère, oscillant de 206 en 1867 à 246 en moyenne, sauf en 1870-1871 où 100 lits supplémentaires furent affectés aux militaires ; en 1889, le total s’élevait à 320 lits pour plus de 100 000 habitants167.
- 168 AMR, 5 Ia 1/66, copie du 30 janvier 1858 d’un rapport de la commission d’hygiène cantonale.
- 169 Dr A. Faidherbe, 1895-1896. Certains charlatans furent d’ailleurs condamnés comme le cabaretier Ber (...)
- 170 Cité par P. Pierrard, 1976.
- 171 Les ouvriers s’adressaient directement au pharmacien, surtout pour les enfants. Les pharmaciens […](...)
- 172 Ibidem, 1895-1896.
- 173 AMR, 5 Ih 2, dossier sur le choléra de 1865-1866.
125Malgré le personnel plus ou moins nombreux et l’ouverture d’un hôpital, le recours à la médecine officielle n’était pas généralisé, même à la fin du xixe siècle, en raison du poids des mentalités arriérées, archaïques. Lors de l’épidémie de choléra en 1858, la commission d’hygiène cantonale dénonçait la vente illicite des médicaments dans toutes les pharmacies de la ville. Les pharmaciens […] vendent à tout venant des médicaments que n’ont point prescrits les médecins. il en est même dont l’officine est transformée en véritable cabinet de consultations. […] Viennent ensuite les promesses mensongères d’un charlatanisme sans pudeur. l’exercice illégal de la médecine par une foule de médicastres dont toute la science consiste à jargonner quelques mots dont ils ne comprennent pas eux-mêmes la signification. puis l’influence tyrannique des préjugés si puissants dans un pays où malgré les efforts constants de l’autorité locale, les classes pauvres semblent à peine sorties des langes de l’ignorance ; et enfin l’insouciance coupable des familles à conserver intact le précieux trésor de la santé et leur négligence à recourir aux moyens capables de la rétablir lorsqu’elle est compromise168. Le docteur Faidherbe, qui dénonçait l’influence des grands-mères et des voisines pour la mortalité infantile, stigmatisait encore une attitude fort répandue : à Roubaix comme partout ailleurs, la médecine des commères et le charlatanisme éhonté s’étalent et font fortune169. La thérapeutique mise en œuvre était sans doute peu curative : la dysenterie se soignait en absorbant une pinte de lait dans laquelle on a jeté une once de sucre candi et les petits morceaux bouillis d’une page de papier à lettre170 ! Il s’agit là d’habitudes ancestrales qui ne peuvent réellement surprendre mais il semble bien que le pharmacien ait été en partie responsable de ce non-recours au médecin171. La défiance envers le médecin s’étendait à l’hôpital : On ne veut pas envoyer le malade à l’hôpital parce que la population de Roubaix en a ordinairement une vraie terreur, du reste fort peu justifiée172. Même en cas d’épidémies, les populations étaient fort réticentes, pour ne pas dire plus, envers l’hôpital. En 1865, lors de l’invasion du choléra, le commissaire de police, dans ses rapports quasi quotidiens au maire, insistait sur le refus des personnes malades de se laisser conduire à l’hôpital, alors que, selon lui, tous les malades qui y étaient soignés allaient bien173.
126Comme pour la fécondité, les indicateurs de la mortalité roubaisienne traduisent la dure condition ouvrière. Le taux de mortalité, supérieur à la moyenne française, était aussi lié à la forte natalité en raison du poids de la mortalité infantile. L’évolution de la mortalité est indissociable de l’histoire de la croissance de la population, les taux bruts les plus importants correspondant aux phases d’essor rapide dans les années 1820, puis sous le Second Empire. A l’évidence, une augmentation rapide de la population aggravait les conditions d’existence. L’inégalité devant la mort était réelle : énorme avant un an selon que l’on naissait fille ou garçon, la surmortalité des femmes en couches augmentait encore la différence.
- 174 Les archives de la série Q II D1 à D11 gardent la trace de centaines d’enfants abandonnés et surtou (...)
127Sous-alimentation, manque total d’hygiène, conditions de logement, médiocrité de l’équipement sanitaire, ignorance ou inconscience des mères – ou des nourrices –, dureté des conditions de travail, propension à l’alcoolisme… la liste est longue des raisons de cette surmortalité. L’attitude des familles vis-à-vis de l’enfant y avait aussi sa part : le lien entre la forte natalité ouvrière et la forte mortalité infantile exprimait une certaine résignation. Pour dépasser la mort, la majorité des Roubaisiens choisirent d’ignorer les « funestes secrets » : hyperfécondité et surmortalité allèrent, en effet, de pair pendant de nombreuses décennies. Surtout ce fut de manière très inégale que la population bénéficia de l’amorce de la réduction de la mortalité à la fin de notre période ; la mortalité infantile continuait encore à décimer les rangs des nourrissons, les parturientes couraient toujours le risque de ne pas voir vieillir leurs enfants. S’il est possible de quantifier la mort, il l’est moins de peser les conséquences au quotidien du décès de la jeune mère de famille nombreuse, du père brutalement arraché aux siens ou succombant prématurément au choléra ou à la tuberculose174. L’invalidité avec son cortège de déchéances physiques et morales (combien de Coupeau et Gervaise à Roubaix ?), la mort qui laissait la famille dans une misère absolue, rien ne changea entre le milieu du xviiie siècle et la fin du xixe siècle et si le cimetière n’était plus au centre de la ville, la mort était toujours au centre de la vie !
Annexes
Annexe VI.1. Comparaison des taux bruts de mortalité à Roubaix et dans le Nord au xixe siècle
Moyennes triennales Taux pour mille
PÉRIODES |
ROUBAIX |
NORD |
ARR. de LILLE |
1820-1822 |
26,64 |
25,60 |
|
1830-1832 |
35,12 |
32,80 |
34,70 |
1835-1837 |
24,66 |
25,80 |
28,20 |
1840-1842 |
30,26 |
25,50 |
29,10 |
1845-1847 |
28,65 |
24,80 |
27,40 |
1850-1852 |
24,53 |
23,30 |
25,30 |
1855-1857 |
27,05 |
24,20 |
|
1860-1862 |
25,63 |
22,50 |
24,50 |
1865-1867 |
39,83 |
25,60 |
28,50 |
1870-1872 |
30,21 |
25,50 |
26,10 |
1875-1877 |
27,04 |
22,70 |
|
1880-1882 |
24,68 |
22,20 |
25,10 |
1885-1887 |
22,31 |
21,30 |
23,00 |
1890-1892 |
23,33 |
22,50 |
24,80 |
Annexe VI.2. Comparaison des taux bruts de mortalité à Roubaix et en France au xixe siècle
Moyennes quinquennales Taux pour mille
PÉRIODES |
ROUBAIX |
FRANCE |
PÉRIODES |
1805-1809 |
25,74 |
28,41 |
1806-1810 |
31,10 |
1811-1815 |
||
26,38 |
1816-1820 |
||
1820-1824 |
33,56 |
25,18 |
1821-1825 |
1825-1829 |
38,71 |
25,40 |
1826-1830 |
1830-1834 |
36,56 |
26,12 |
1831-1835 |
1835-1839 |
30,04 |
23,92 |
1836-1840 |
1840-1844 |
30,16 |
23,16 |
1841-1845 |
1845-1849 |
33,31 |
24,15 |
1846-1850 |
1850-1854 |
27,73 |
24,43 |
1851-1855 |
1855-1859 |
29,77 |
24,25 |
1856-1860 |
1860-1864 |
29,39 |
23,22 |
1861-1865 |
1865-1869 |
38,70 |
24,72 |
1866-1870 |
1870-1874 |
30,79 |
25,40 |
1871-1875 |
1875-1879 |
28,60 |
22,91 |
1876-1880 |
1880-1884 |
26,06 |
22,58 |
1881-1885 |
1885-1889 |
24,38 |
22,26 |
1886-1890 |
Annexe VI.3. Quotients de mortalité et tables de survie selon la décennie de naissance établis à partir du réseau 1 : hommes
Annexe VI.4 Quotients de mortalité et tables de survie selon la décennie de naissance établis à partir du réseau 1 : femmes
Notes
1 Au contraire, des enfants trouvés de Lille étaient placés à Roubaix.
2 M.-P. Buriez-Duriez, 1970.
3 J. Dupâquier, 1990.
4 La diminution résulta surtout de celle de la mortalité infantile, à la différence de Roubaix, F. Barbier, 1983.
5 26,14 ‰ en 1839 et 23,04 en 1843 quand le taux roubaisien était de 29,6 ‰ de 1839 à 1843, R. André, J. Pereira-Roque, 1974.
6 E. A. Wrigley, R. S. Schofield, 1981.
7 Sans 1866, la distribution mensuelle pour la décennie est très régulière et plus conforme à la normale avec un maximum de décès en hiver.
8 V. Hugo, « Joyeuse vie », dans Les châtiments.
9 Les estimations ont été calculées à l’aide des tables-types de mortalité de Sully Ledermann, 1969. Selon la reconstruction d’Etienne Van de Walle (1974), l’espérance de vie à la naissance pour les femmes du Nord nées dans les années 1811-1815 aurait été de 36,5 ans contre 37,9 pour les Françaises.
10 L’amélioration de l’enregistrement des décès est également un facteur à prendre en compte.
11 Cf. Annexes VI.3 et 4. Les estimations ont été calculées à l’aide des tables-types de mortalité de Sully Ledermann, et en particulier du réseau 1 à double entrée (réseau 1 : q1 = 5q0 (MF) pour 1 000 et q2 = 20q45 (MF) pour 1 000) qui donne les estimations les plus sûres (S. Ledermann, 1969).
12 E. A. Wrigley, R. S. Schofield, 1981 et R. Leboutte, 1988.
13 Il est préférable, étant les effectifs particulièrement restreints, de ne pas extrapoler à partir des quotients de mortalité pour les âges très élevés.
14 L. Henry, 1987.
15 Pour les hommes, le quotient de mortalité à 30-34 ans augmenta à partir de la génération née en 1830-1839.
16 A Rouen, pour la période 1640-1800, il était de 11 ‰, J.-P. Bardet, 1983. Pour un nombre moyen de naissances de 6 enfants par femme, le risque était donc d’environ 5,5 % à Roubaix, comparable aux 5 % de Rouen. A Lille, sous le Second Empire, 1,5 % des femmes dans l’ancien Lille mourait en couches et 3 % dans les nouvelles limites, P. Pierrard, 1965. Aux xviiie et xixe siècles, la situation était comparable dans les campagnes flamandes (taux de 11,4 ‰ en 1751-1790 et de 9,8 à 12 ‰ pour la deuxième moitié du xixe siècle) et brabançonnes (18 ‰ pour les années 1750-1791) ; dans les maternités de Bruges ou de Gand, il était plus élevé (34,9 ‰ à Gand pour 1871-1880), Ch. Vandenbroeke, 1991.
17 Les décès consécutifs à une fausse couche ou aux manœuvres abortives nous échappent totalement. Or, à la fin du xixe siècle, le docteur Faidherbe estimait que, sur sept grossesses connues du médecin, au moins une n’arrivait pas à terme, du moins au huitième mois, et qu’il y avait autant d’avortements ignorés des médecins que d’avortements connus. D’autres sources permettent parfois de repérer des décès liés à un accouchement alors qu’aucune mention d’enfant mort-né n’apparaît dans les registres, ainsi dans le cas d’Aimée Duforest, cf. infra, p. 268.
18 Elle était la fille du fabricant Wibaux-Parent, cf. figure 6.
19 Le risque était donc accru lorsque la mère avait souffert de rachitisme pendant son enfance. Un tel rétrécissement aggravait notablement la mortalité : une étude, faite au milieu du xixe siècle dans les maternités parisiennes, estimait le taux de mortalité à 19 % pour ces mères contre 6 % pour l’ensemble des femmes, E. Shorter, 1984.
20 Aucune des 490 parturientes âgées de moins de 20 ans ne décéda dans le délai de 60 jours.
21 Certains observateurs mettaient en avant le fait que les garçons, plus gros à la naissance, étaient donc plus dangereux pour les mères ; les études actuelles confirment la différence de poids moyen et de périmètre crânien, S. Beauvalet-Boutouyrie et J. Renard, 1994.
22 Ce genre de grossesses donnait plus souvent lieu à des relations que les autres, dont l’issue était pourtant identique, AMR, 5 Ib 1/11, « Observation sur une grossesse extrautérine par le citoyen Gauquier chirurgien juré au Bourg de Roubaix », prairial an XIII.
23 M. Laget, 1977. Sur la classification des causes de décès en fonction des diverses pathologies immédiates ou différées, voir le point fait par Scarlett Beauvalet-Boutouyrie et Jacques Renard, 1994.
24 S. Beauvalet, 1994 et 1999.
25 AMR, Rapports sur l’administration et la situation des affaires de la ville de Roubaix.
26 P. Pierrard, 1965. Cette différence se retrouvait au niveau départemental, A. Lesaege, 1968.
27 La fatigue concernait également les domestiques et femmes de ménage, surtout au moment des fêtes, Dr A. Faidherbe, 1895-1896.
28 E. Zola, 1993.
29 C. Faucompré, 1854, cité par P. Pierrard, 1976.
30 Il faut attendre 1901-1914 pour qu’intervienne une baisse spectaculaire, A. Lesaege, 1968 et A. Lesaege-Dugied, 1972.
31 A Tourcoing, pendant la première moitié du siècle, « un habitant sur trois meurt avant d’atteindre sa 1ère année, un habitant sur deux avant l’âge de 10 ans et seul un sur quatre peut espérer vivre au-delà de 50 ans », A. Lottin (dir.), 1986.
32 22 ‰ et 259 ‰ dans les arrondissements d’Hazebrouck et de Dunkerque et même 500 ‰ à Halluin à la fin du siècle. Le canton de Roubaix était dépassé par d’autres cantons textiles : Armentières (248,2 ‰), Lille (235,8 ‰) et Tourcoing (229,02 ‰), A. Lesaege-Dugied, 1972.
33 Ce recul est commun à nombre de régions de l’Europe de l’Ouest, A. Perrenoud, 1994. A Tourcoing, pourtant, pendant la première moitié du siècle, une baisse notable du taux de mortalité infantile avait été enregistrée ; dans le même temps, le quotient roubaisien ne diminua que dans les années 1836-1845 (180 ‰) mais dans des proportions moindres, S. Destombes-Casse, E. E. Tiberghien, 1978.
34 A. Lesaege-Dugied, 1972.
35 AMR, 5 Ia 1/63, rapport de la commission d’hygiène cantonale, 19 avril 1857.
36 A. Perrenoud (1994) envisage une reprise des épidémies.
37 Ch. Vandenbroeke, F. Van Poppel et A. M. Van Der Woude, 1983. Ces diversités régionales résultaient également d’une différence d’activités, Ch. Vandenbroeke, 1984.
38 G. Masuy-Stroobant, 1983. Si les mères flamandes n’allaitaient guère lorsqu’elles accouchaient en terre belge, pourquoi l’auraient-elles fait plus souvent ou plus longtemps à Roubaix, surtout lorsqu’elles travaillaient en usine ?
39 Il est impossible de faire la part entre mortalité endogène et exogène. La mortalité endogène « est constamment inférieure dans les villes à celle des campagnes. La mortalité infantile urbaine vient donc pour l’essentiel de la seconde (exogène), c’est-à-dire de facteurs écologiques et des atteintes permanentes ou occasionnelles du cadre de vie sanitaire et matériel », G. Duby (dir.), 1983.
40 Dans le Brabant au xviiie siècle, 2/3 des décès du premier mois intervenaient dans la première semaine, Cl. Bruneel, 1977.
41 Dr A. Faidherbe, 1894-1895.
42 J. Dupâquier, 1994.
43 A. Fauve-Chamoux, 1983. La même remontée des quotients entre le deuxième et le sixième mois du fait du « passage prématuré à l’alimentation artificielle » a été constatée en Flandre occidentale au xixe siècle, C. Vandenbroeke, F. Van Poppel et A. M. Van Der Woude, 1983.
44 A. Lesaege-Dugied, 1972.
45 Ibidem. Les ouvriers du Nord non malthusiens n’avaient pas encore abandonné « l’idée du gaspillage nécessaire » pour reprendre l’expression de Philippe Ariès, 1973.
46 Cela est confirmé par les recherches menées sur des pays en voie de développement, G. Masuy-Stroobant, 1983.
47 Dr Lévesque, 1906 ; le Dr Deleau (1903) qualifiait le biberon d’engin redoutable qui a tué plus d’enfants que la poudre à canon n’a tué d’adultes (cités par A. Lesaege, 1968).
48 Dr Ely, 1902, cité par A. Lesaege, 1968.
49 Dr A. Faidherbe, 1894-1895. Malheureusement, comme il ne précise pas quand s’amorçait la diversification de la nourriture, nous ne pouvons la mettre en relation avec une remontée des quotients de mortalité.
50 La stérilisation du lait fut mise au point en 1891.
51 ADN, M 344/4, lettre du maire de Lille au préfet, 31 août 1903.
52 Les décès par gastro-entérite étaient fort nombreux dans le Nord comme dans les villes industrielles. Pour l’ensemble de l’arrondissement de Lille, le pourcentage était même de 40,1 % mais il ne cessa d’augmenter au long du siècle, A. Lesaege-Dugied, 1972. La prématurité était comprise dans la débilité congénitale.
53 C. Rollet-Echalier, 1990. La très grande vulnérabilité des enfants de 1 à 5 ans à la ville a été démontrée pour la Belgique, T. Eggerickx, M. Debuisson, 1990.
54 En France, la surmortalité féminine avant 20 ans, faible pour les années 1740-1789, s’aggrava au siècle suivant. Elle pourrait résulter d’une moindre résistance face aux maladies infectieuses, L. Henry, 1987. Voir aussi, M. Poulain, D. Tabutin, 1981.
55 Les parents (ouvriers) les laissent courir au dehors alors que leur santé ne leur cause point d’inquiétude, AMR, Q Ib 2, lettre du maire adressée au médecin du Bureau de Bienfaisance, 26 octobre 1867.
56 A. Perrenoud, 1975 et G. Masuy-Stroobant, M. Poulain, 1983.
57 M. Laget, 1977 et E. Shorter, 1984.
58 P. Pierrard (dir.), 1978.
59 AMR, Rapports sur l’administration et la situation des affaires de Roubaix, de 1866 à 1889.
60 E. A Wrigley, 1969 ; J.-P. Goubert, 1984 ; Cl. Desama, 1985 et R. Leboutte, 1988.
61 AMR, F V 1/37, réponses du Magistrat aux questions posées par le préfet en l’an IX.
62 AMR, F V 1/40, Mémoire sur les mœurs, habitudes, coutumes des habitants de Roubaix, 29 fructidor an IX.
63 Une ordonnance de police du 1er août 1775 condamnait ceux qui, oubliant leurs devoirs, […] vont dans les campagnes prendre des légumes et avestures et, pendant la moisson, sous prétexte de glaner, s’attroupent, entrent dans les champs, font des glanes d’épis qu’ils coupent et arrachent avec dommage et au grand préjudice des laboureurs, AMR, FF-17 : règlement de police pour le marquisat, bourg et paroisse de Roubaix.
64 Le Dr Faidherbe (1894-1895) pensait que cette épidémie était sans doute une affection du système digestif, caractéristique plutôt de la saison chaude et de l’arrière-saison.
65 Commencées dans notre région le 5 janvier 1740, les grandes gelées durèrent neuf semaines. Le prix de la rasière de blé qui était de 13,9 livres parisis de Flandre en janvier 1740, après une hausse soutenue jusqu’en mai, atteignit 26,81 L. en juin et même un maximum de 27,15 L. en octobre, il fallut attendre la deuxième moitié de 1741 pour retrouver le niveau antérieur, R. Roffin, 1953.
66 Une somme de 832 livres pour leur nourriture et leur logement figure dans le compte de la taille des faux frais, AMR, CC-80.
67 Depuis plus de neuf mois règne la maladie. La maladie va toujours en augmentant ; […] la plupart des malades manquent des choses nécessaires tels que bois, chemises, draps, couvertures et même d’aliments convenables à leur état ce qui entraîne la perte de plusieurs, au grand regret de la paroisse qui ne peut subvenir à leurs besoins, supplique des baillis de Roubaix ; le rapport établi par le chirurgien et le curé de Roubaix, le 31 octobre 1769, demandait également des secours aux États de Lille, AMR, GG-294/11 et ADN, C-220.
68 AMR, HH-2, 1768.
69 Le rapport, envoyé en juin 1790 au Contrôleur Général, sur l’emploi fait par l’intendant Esmangart de cette somme mettait d’ailleurs l’accent sur le fait que celui-ci avait choisi de ne pas distribuer la totalité de l’aide en 1784, de manière à se ménager les moyens de venir à leurs secours, s’ils venoient à eprouver de nouvelles calamités ou d’autres evenemens facheux. il s’est manifesté, de temps à autre, dans ces provinces, des maladies épidémiques, AN, H/1/696/2.
70 H.-L. Dubly, 1925.
71 AMR, HH-4 pour 1744-1748 et HH-5, pour 1770-1773.
72 Le docteur Faidherbe (1894-1895) l’identifiait comme étant une péripneumonie érysipélateuse c’est-à-dire influenza qui sévissait également dans le Tournaisis.
73 ADN, C-220, procès-verbal fait à Lille le 1er juin 1787 par les médecins Boucher et Dehenne.
74 Qualifiée de fièvre putride maligne à Roubaix, comme à Bondues où elle sévit également, elle fut précédée par la fièvre rouge, maladie, assez commune dans cette contree vers la fin des étés, quand il y a eu des variations considérables dans la constitution de l’air, comme il est arrivé l’été dernier, ADN, C-220, procès-verbal relatif à la maladie qui règne épidémiquement à Roubaix depuis le mois d’octobre dernier, 7 mai 1787. L’intendant Esmangart ordonna en janvier 1788 de verser la somme de 600 livres, prise sur les fonds libres de la capitation de 1784, au sieur Boucher, médecin à Lille, au titre de gratification pour les services qu’il a rendu pendant la maladie qui s’est manifestée aux villages de Bondues, Mouvaux et au bourg de Roubaix, AN, H/1/696/2.
75 AMR, F IV C/1, F V C/1.
76 Dr A. Faidherbe, 1895-1896.
77 Lettre en date du 7 janvier 1789, adressée à M. J.-B. Barbaroux et Cie de Turin, citée par H.-L. Dubly, 1925.
78 Mémoire des Bailli, Echevins et fabriquants de Roubaix de mars 1788 aux États d’Artois, ADN, C-1692, f° 2rv ; ils réclamaient la suppression des droits mis aux douanes intérieures sur les objets de fabriques nationales.
79 ADN, L 8991, 18 août 1790 et AMR, CC-157.
80 Dr L. Villermé, 1840.
81 AMR, 5 Ia 1/51, Réponses à un questionnaire destiné aux commissions cantonales d’hygiène et de salubrité, 1853.
82 AN, C 3019/1, Enquête parlementaire sur la situation des classes ouvrières en France, 1872-1875, réponses de Lefebvre-Ducatteau, fabricants de tissus à Roubaix, pièce 36, f° 3. A titre indicatif, en 1874, le kilogramme de pain blanc de première qualité coûtait 0,43 F contre 1,8 F pour la viande de bœuf, le salaire journalier d’un tisseur à la main était compris entre 2 et 4 F, un bon fileur pouvait gagner de 25 à 30 F la semaine, ADN, Statistiques roubaisiennes 1469-1888, publiées par la Chambre de Commerce de Roubaix.
83 1816 époque à laquelle le blé s’est vendu 80 francs l’hectolitre, AN, 45/AP/23, Papiers Rouher, lettre de la Chambre consultative des Arts et Manufactures de Roubaix, décembre 1867. En 1848, 3 100 familles furent secourues, soit la moitié des 30 000 habitants, cf. supra Chapitre I, p. 43.
84 ADN, M 547/1, pièce 272, Enquête sur la question du travail agricole et industriel, procès-verbal des opérations de la Commission d’enquête du canton de Roubaix, 9 juillet au 15 août 1848.
85 AN, F/1cIII/Nord/8, rapports du sous-préfet de l’arrondissement de Lille au Préfet, janvier 1854 et mai-juin 1854.
86 AMR, DD-17/2, règlement du bailli, en date du 13 décembre 1735, texte imprimé.
87 L’édit royal du 10 mars 1776 interdit d’enterrer dans les églises, chapelles et oratoires ; il était prévu que les cimetières à agrandir et ceux qui, à l’intérieur des villes, pouvaient nuire à la salubrité fussent transférés en dehors des villes.
88 AMR, DD-4.
89 AMR, BB-6.
90 De fait, il fallut attendre l’an IV pour que les enterrements se fissent au sud de la ville, sur un terrain cédé à la municipalité par un notable Floris Delaoutre, au lieudit le Champ de Beaurewart ; dès 1807, il était plein et il fallut acheter un autre terrain (à droite du chemin du Fresnoy) pour y établir un nouveau cimetière pour une population qu’on estimait ne pas devoir dépasser les 12 000 habitants. Le cimetière du Fresnoy se retrouva vite intégré au cœur de la ville et la hausse du nombre des décès accrut la nécessité de trouver un nouvel emplacement ; le choix se porta sur un terrain assez vaste (environ 4 ha 50 a), au nord-est de la ville à la limite de Wattrelos ; on évita ainsi le risque d’avoir à renouveler trop souvent une opération peu aisée à mettre en œuvre et ce choix se révéla judicieux puisque le cimetière s’y trouve toujours.
91 ADN, C-220, 7 mai 1787.
92 Archives de la Chambre de Commerce de Lille, t. IV, p. 31, 22 septembre 1848.
93 Le fort, oeuvre de véritables « promoteurs » (M. Le Blan, 1980) est un regroupement dense de maisons, soit séparées par un espace central plus ou moins grand, soit implantées au carré. Le fort Frasez, construit par le fabricant Frasez-Bayart, comptait une centaine de petites maisons (2,08 m de hauteur) qui comportaient chacune 4 chambres pouvant contenir 4 métiers jacquard. Le fort associait donc les avantages du travail à domicile et du regroupement d’un certain nombre d’ouvriers : en effet, quelque 500 personnes pouvaient y travailler.
94 AMR, 5 Ia 1/5, extrait du rapport Godefroy, en date du 20 mars 1849.
95 Un tiers de la population y vivait en 1861 ; sur les courées, voir J. Prouvost, 1969.
96 AMR, 5 Ia 1/56, rapport de la commission d’assainissement des logements insalubres concernant la réclamation du Sieur F. Bonte, novembre 1855.
97 AMR, 5 Ia 1/57, lettre de F. Bonte au maire de Roubaix, 4 octobre 1855.
98 AMR, 5 Ia 1/58, rapport du commissaire de police de Roubaix, 6 octobre 1855.
99 AMR, 5 Ia 1/61, rapport au conseil central d’hygiène et de salubrité du département du Nord, Lille, 31 mars 1856.
100 AMR, 5 Ia 1/86, séance du 28 août 1860 du conseil municipal.
101 AMR, 5 Ia 1/96, extrait du rapport fait au Conseil central d’Hygiène et de salubrité du département du Nord, en date du 6 mai 1861. Le rapport général sur les travaux du Conseil central de salubrité du département du Nord confirmait l’absence de visite et de rapport à l’administration supérieure de la Commission roubaisienne, AMR, 5 Ia 1/74, 1859.
102 AMR, 5 Ih 2/1.
103 Dr A. Faidherbe, 1895-1896.
104 L. Reybaud, 1867.
105 Dr A. Faidherbe, 1895-1896.
106 Ibidem, 1895-1896.
107 AMR, F V 9/18, rapport établi en 1892 par les autorités municipales en réponse au questionnaire du gouvernement.
108 AMR, 5 Ia 1/120, Extrait du registre des délibérations de la commission cantonale d’hygiène et de salubrité de Roubaix, 12 juillet 1892.
109 Progrès du Nord, 8 décembre 1866.
110 AMR, 5 Ih 1/41-44.
111 Le Dr Villermé a rappelé la responsabilité de la salubrité dans la propagation de l’épidémie, la salubrité et non la richesse car les domestiques des grandes maisons étaient pauvres mais pas touchés ; il est vrai qu’il s’agit là des « moins pauvres » parmi les pauvres, J.-P. Bardet, P. Bourdelais, P. Guillaume, F. Lebrun, Cl. Quétel, 1988.
112 Cf. supra, p. 288, AMR, 5 Ih 1/322. Les résultats sont identiques pour Lille, M. et Ch. Engrand, 1972.
113 Certains contemporains y virent la conséquence de la fragilité de leur système nerveux : les femmes ayant eu plus peur du choléra auraient été plus touchées. Plus que cette analyse pour le moins misogyne, c’est plutôt le travail à domicile dans une atmosphère confinée et malsaine qui était en cause.
114 Selon un rapport, établi au début de l’année 1849, portant sur les victimes parmi les personnes hospitalisées entre le 1er mars 1848 et le 1er janvier 1849, la maladie fut à l’origine d’un cinquième du total des décès, AMR, 5 Ih 1/49. Au printemps, le typhus semblait perdre de son intensité si l’on en croit un rapport signé du Dr Godefroy en date du 20 mars 1849, dont il ne reste que les dernières pages, AMR, 5 Ia 1/5.
115 AMR, 5 Ih 1/94. Cette coïncidence avait déjà été relevée lors de la deuxième pandémie en Europe de l’ouest. Les contemporains avaient fait le même constat à Lille en 1832.
116 AMR, 5 Ih 1/113 et 5 Ih 1/102.
117 AMR, 5 Ih 1/75.
118 AMR, 5 Ih 1/322. Cette atteinte épidémique intervint, après un hiver particulièrement difficile sur le plan économique et dans une période de crise alimentaire, cf. supra, p. 286.
119 Il s’agit de la date du premier décès mais en fait un garçon fut contaminé dès le 7 juillet, AMR, 5 Ih 2/72, Rapport sur le choléra qui a régné à Lille et dans le département du Nord. Roubaix fut touchée une semaine avant Lille. L’épidémie atteignit son maximum en septembre (avec près de la moitié des décès enregistrés pendant ce seul mois) et octobre, la moyenne étant de 18,8 morts par jour contre 21,8 à Amiens, AMR, 5 Ih 2/145.
120 La différence tient sans doute à la composition sociale, au poids encore plus important de la classe ouvrière roubaisienne même si les conditions de vie étaient aussi effrayantes à Lille qu’à Roubaix. En revanche, curieusement, Tourcoing semble avoir été épargnée : en 20 jours, l’épidémie fit 44 victimes sur les 64 atteintes, pour une population de 42 000 habitants et le quartier le plus touché se situait à la limite de Roubaix. Du moins l’habitat de Tourcoing n’était-il pas des plus médiocres, mais on y trouvait également des courées aux maisons sans air, au milieu d’une malproprété repoussante, Indicateur du 25 septembre 1866.
121 AMR, 5 Ih 2/189, 2/191-192, 2/194, 2/196, 2/198, 2/200, 2/202-208, 2/211, 2/220.
122 « Ces divers facteurs de mortalité sont interdépendants - la profession est liée à l’instruction, le revenu est lié à la profession, et ensemble revenu et instruction peuvent déterminer le régime alimentaire, l’habitat et la forme de vie. Comme il est impossible de mesurer séparément l’influence de ces facteurs sur la mortalité, les chercheurs ont souvent considéré l’un de ces facteurs comme un indicateur pour tous les autres. La profession est celui qu’ils retiennent le plus souvent, ou encore la classe sociale liée à la profession », United Nations, 1973, cité par M. R. Haines, 1989.
123 ADN, M 475/120, Professions des décédés à Roubaix en 1864.
124 AMR, F1 b1/10, questionnaire de l’an IX. Cela se traduisait, selon la réponse, par l’analphabétisme de trois quarts des enfants ce qui ne pouvait qu’engendrer des conséquences négatives sur leur comportement (hygiène, soins aux futurs enfants, chance de promotion sociale, appel à la médecine). L’épeule est le fuseau où s’enroulent les fils de laine ou de soie, c’est une petite canette à placer dans une navette.
125 AN, C 3019/1, Enquête parlementaire sur la situation des classes ouvrières en France, réponses de Lefebvre-Ducatteau, pièce 38,f° 6 ; réponses de M. Descat, pièce 65, f° 6 ; réponses de la Chambre de Commerce de Lille, pièce 75, f° 2 et pièce 76, f° 6.
126 AN, C 3019/1, réponses de Lefebvre-Ducatteau, pièce 38, f° 6.
127 AN, C 3019/1, réponses de la Chambre de Commerce de Lille, pièce 76, f° 6.
128 AN, C 3019/1, réponses de la maison Darras-Lemaire, peignage de laine, filatures de laines peignées, de laines cardées, de laines mixtes et retordage, Tourcoing, pièce 52, f° 1.
129 Y. Lequin, 1977.
130 La taille moyenne de 1,65 m en 1863 atteignit un maximum de 1,7 m de 1869 à 1874, pour reculer ensuite (1,64 m en 1889), Rapports sur l’administration de la ville de Roubaix de 1864 à 1889.
131 Les statistiques officielles ne faisaient malheureusement pas état de la profession des conscrits. Dans certains villages proto-industriels du Cambrésis et du Saint-Quentinois, c’était la moitié des jeunes tisseurs qui étaient exemptés du service militaire, contre 20 % pour le reste de la population, D. Terrier, 1996. Voir aussi A. Bernède (1982).
132 AMR, 5 Ia 1/106, Rapport général sur les travaux des commissions cantonales de salubrité du département du Nord, 1863.
133 Journal de Roubaix, 6 et 7 novembre 1883. Une souscription fut lancée au profit des victimes et de leurs familles.
134 AN, F/8/16 ; ces informations chiffrées portent sur Roubaix et Tourcoing. A Roubaix, la première des 133 victimes fut touchée le 2 juillet. La source roubaisienne (AMR, 5 Ih 1/4) la limite à la fin de l’année 1812 avec une intensité accrue pour le dernier trimestre.
135 Dr A. Faidherbe, 1895-1896.
136 E. Verhaeren.
137 Dr A. Faidherbe, 1895-1896.
138 Sous l’Empire, un individu consommait en moyenne 192 litres de vin et 6,5 litres d’alcool par an à Paris, un Lyonnais respectivement 194 et 2,7 litres, un Rouennais 41,36 et 10,2 litres ; quant au Lillois, sa consommation moyenne était de 17,37 litres de vin et 4,62 litres d’alcool, cf. AN, Direction générale des Douanes et des contributions indirectes : tableau de la consommation en vins et alcools dans les principales villes de France, 45/AP/23, Papiers Rouher.
139 La forte mortalité alcoolique des cabaretiers et aubergistes britanniques au xixe siècle se retrouverait sans doute à Roubaix, s’il était possible de coupler causes de décès et appartenance socioprofessionnelle, M. R. Haines, 1989.
140 Estimation de l’évolution de la consommation par période quinquennale de 1866 à 1891, d’après les données de l’octroi et sans compter les fraudes, Dr A. Faidherbe, 1895-1896.
141 AMR, 5 Ia 1/92 et 5 Ia 1/106, Rapports généraux sur les travaux des commissions cantonales de salubrité pour 1860, 18 août 1861 et 1863.
142 Certains ouvriers étaient encore capables, « contraints » de travailler très âgés. Les témoignages des différents industriels concordaient : Lefebvre-Ducatteau évoquait 65-70 ans pour les ouvriers tempérants et Paul Darras ajoutait : je vois que des vieillards de 65, 70 et 75 ans reçoivent encore 2 francs par jour à peu près. Leur travail consiste à doubler les fils avant de les retordre, AN, C 3019/1, Enquête parlementaire, réponses de Lefebvre-Ducatteau, pièce 37, f° 2 et de MM. Darras-Lemaire, filateurs à Tourcoing, pièce 53, f° 2.
143 Souligné dans le texte, AN, C 3019/1, réponses de Lefebvre-Ducatteau frères, fabricants de tissus à Roubaix, pièce 37, F° 2 et pièce 38, f° 1, f° 2 et f° 3.
144 AN, C 3019/1, réponses de M. Descat, député du Nord, pièce 65, f° 3.
145 AN, C 3019/1, réponses de la Chambre de Commerce de Lille, pièce 75, f° 2 et pièce 76, f° 3.
146 AN, C 3019/1, réponses de MM. Darras-Lemaire, filateurs à Tourcoing, pièce 54, f° 3.
147 AN, F/1cIII/Nord/8, rapport du préfet du Nord, 11 février 1857.
148 Professeur Brouardel, Semaine médicale de 1886, cité par Dr A. Faidherbe, 1895-1896.
149 Contre une pension annuelle de 288 livres, il avait la charge de fournir gratuitement toutes drogues et médicaments, AMR, BB 11/5, 1747.
150 La pension de chacun était de 150 livres parisis, AMR, BB 11/7, 10 octobre 1769.
151 La pension qui leur fut allouée était de 100 florins chacun mais avec exemption des impositions de la paroisse et sous réserve d’être indemnisés pour le traitement et les médicaments de la gangrène.
152 Réponse à l’enquête faite par le Sieur Lagache, subdélégué du Lieutenant de Flandre et d’Artois, en date du 18 mai 1786, datée du 8 juin 1786, AMR, BB 11/12. Mireille Laget (1977) a fait le même constat d’ignorance pour le Languedoc.
153 Les observations sur leurs talens, leur moralité et le degré de confiance dont ils jouissent sont très diverses. Pour 2 accoucheurs, elles sont même négatives : François Daniel Gorain, âgé de 71 ans, n’a jamais été qu’un médiocre artiste, Stanislas Duwez, âgé de 53 ans, est présenté comme un très faible sujet et un peu crapuleux par les boissons, AMR, 5 Ib 1/1, état nominatif des officiers de santé, 15 germinal an X.
154 Si, en 1818 Gauquier, maître chirugien reçu en 1772, avait déclaré ne plus exercer, en revanche, il était toujours répertorié dans la liste de 1831, il avait alors 83 ans !
155 AMR, 5 Ib 2/51 à 54, Statistique du personnel médical au 30 mai 1886. En 1866, dans le Nord, on comptait un médecin pour 5 648 personnes et une sage-femme pour 6 466 personnes ; en France à la même époque, les proportions étaient respectivement de un médecin pour 3 220 personnes et une sage-femme pour 2 762. Le déficit, déjà important en 1866, n’était pas résorbé vingt ans plus tard à Roubaix, il était même encore plus patent pour les médecins, A. Lesaege-Dugied, 1972.
156 Il s’agit du rapport entre le nombre de médecins et la population totale ; ce n’est qu’un indicateur partiel puisqu’il n’informe nullement sur la qualité des soins, ni même sur la fréquence du recours au médecin.
157 Un pharmacien de nationalité polonaise, diplômé de la faculté de Nancy était également enregistré à Roubaix, AMR, 5 Ib 2/88, Statistique du personnel médical du troisième arrondissement de Roubaix, en date du 25 novembre 1887 et 2/116, Etat imprimé du personnel médical en 1887.
158 AMR, 5 Ib 1/120 à 1/122, documents relatifs à la demande du Dr Philippart.
159 AMR, 5 Ib 1/154, demande du Dr Planquart, 25 novembre 1872.
160 AMR, 5 Ib 1/91, 1/92 et 1/111.
161 AMR, 5 Ib 1/114 et 1/115.
162 AMR, 5 Ib 1/126, 1/136, 1/173, 1/200, demandes d’autorisation de l’exercice de la profession.
163 AMR, 5 Ib 1/223 à 1/225, Etat nominatif du personnel médical 1883. Il faudrait sans doute y ajouter nombre de femmes exerçant cette profession en toute illégalité.
164 AN, F/1/cIII/Nord/8, compte-rendu de la tournée du préfet du Nord, fructidor an ix.
165 Sur le mouvement de médicalisation de l’hôpital, voir J. Imbert, 1993.
166 AMR, F V 6/267, statistique sur les lits de l’hospice de 1861 à 1871.
167 Rapports sur l’administration et la situation des affaires de la ville de Roubaix, de 1866 à 1889.
168 AMR, 5 Ia 1/66, copie du 30 janvier 1858 d’un rapport de la commission d’hygiène cantonale.
169 Dr A. Faidherbe, 1895-1896. Certains charlatans furent d’ailleurs condamnés comme le cabaretier Berthe qui, en 1877, dut payer une amende de 600 F pour exercice illégal de la médecine, AMR, 5 Ib 1/189, condamnation pour exercice illégal de la médecine, 4 décembre 1877.
170 Cité par P. Pierrard, 1976.
171 Les ouvriers s’adressaient directement au pharmacien, surtout pour les enfants. Les pharmaciens […] empêchent souvent l’homme de l’art d’arriver auprès du malade en temps opportun et donnent aux parents une quiétude qu’ils n’auraient pas sans eux, p. 11 du rapport de 1858 de la Commission de la Société des Sciences de Lille, cité par le docteur Faidherbe (1895-1896) qui ajoutait : Les habitudes n’ont pas changé depuis, loin de là, et ce n’est pas au pharmacien seul qu’on s’adresse (ce ne serait encore que demi-mal), mais c’est aux rebouteurs les plus stupides et les plus malfaisants dont l’ignorance n’a d’égal que l’aplomb remarquable et l’audace étonnante.
172 Ibidem, 1895-1896.
173 AMR, 5 Ih 2, dossier sur le choléra de 1865-1866.
174 Les archives de la série Q II D1 à D11 gardent la trace de centaines d’enfants abandonnés et surtout de ceux pour lesquels est sollicitée une admission à l’hôpital, lorsqu’une mère ou un père, laissé(e) seul(e) par l’hospitalisation, la disparition, voire l’emprisonnement, de son conjoint, ne pouvait plus faire face ou, summum de la détresse et de la misère, lorsque les deux parents étaient morts.
Table des illustrations
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Titre | Graphique VI.1. Taux de mortalité à Roubaix, dans l’arrondissement de Lille et dans le Nord |
URL | http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/55968/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 72k |
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Titre | Graphique VI.2. Répartition des décès selon les groupes d’âges et structure par âges de la population aux recensements |
URL | http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/55968/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 64k |
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Titre | Graphique VI.3. Distribution des décès selon l’âge et le groupe socioprofessionnel |
URL | http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/55968/img-3.jpg |
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Titre | Graphique VI.4. Évolution de la distribution des décès selon l’âge |
URL | http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/55968/img-4.jpg |
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Titre | Graphique VI.5. Évolution de la mortalité maternelle à Roubaix par décennie de naissance de l’enfant |
URL | http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/55968/img-5.jpg |
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Titre | Graphique VI.6. Évolution de la mortalité infantile à Roubaix 1740-1889 |
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Titre | Graphique VI.7. Mortalité infantile selon l’origine du père |
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Titre | Graphique VI.8. Mortalité infantile selon l’origine de la mère |
URL | http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/55968/img-8.jpg |
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Titre | Graphique VI.9. Les décès cholériques de 1866 à Roubaix |
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Légende | 1 quotient de moralité (0/00) 2 probabilité de survie |
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Légende | 1 quotient de moralité (0/00) 2 probabilité de survie |
URL | http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/55968/img-12.jpg |
Fichier | image/jpeg, 296k |
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URL | http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/55968/img-13.jpg |
Fichier | image/jpeg, 244k |
© Presses universitaires du Septentrion, 2006