- 1 La terminologie pour désigner les peuples autochtones d’Amérique du Nord n’est pas sans poser un pr (...)
1L’inclusion de Sarah Winnemucca (1844 ? - 1891) dans la liste des intellectuels majeurs de l’histoire amérindienne1 n’est pas récente. Dès les années 1970, l’anthropologue américaine Catherine S. Fowler lui consacrait un portrait dans l’ouvrage American Indian Intellectuals of the Nineteenth and Early Twentieth Centuries (1976). Fowler la présentait comme une « figure controversée » de l’histoire des peuples autochtones d’Amérique du Nord, précisant que cette dimension « controversée » contribuait à renforcer « l’intérêt historique » de cette personnalité (2002 : 38). En 1995, dans Tribal Secrets: Recovering American Indian Intellectual Traditions, l’universitaire osage (wazhazhe) Robert Allen Warrior situa Winnemucca au mitan des deux siècles de « tradition intellectuelle écrite autochtone », la considérant, avec la Omaha (umonhon) Susette La Flesche, comme une « conférencière et activiste » engagée sur la voie assimilationniste de la coopération avec la société coloniale anglo-américaine (2-5) ; Winnemucca constituait donc un cas d’étude « intéressant et complexe » (10) comme tant d’autres intellectuels amérindiens. En 2015, ce fut l’universitaire américaine Kiara Vigil qui la compta parmi les auteures et intellectuelles autochtones importantes du xixe siècle (2015 : 13, 167, 346).
- 2 Cet ouvrage est essentiellement composé de plusieurs articles et conférences donnés antérieurement (...)
- 3 Je reprends cette expression au philosophe martiniquais Édouard Glissant qui avança en 1976 qu’une (...)
2« Controversée », Winnemucca l’est encore aujourd’hui comme elle le fut de son vivant en raison des prises de position qu’elle prit en faveur de la défense de son peuple, les Numa, au cours de multiples démarches auprès de responsables politiques et de nombreuses conférences, et qu’elle affirma dans certains écrits. Elle est célèbre pour être la première femme autochtone à avoir publié une autobiographie, Life among the Piutes: Their Wrongs and Claims (1883)2. C’est notamment dans cet ouvrage qu’elle défend et justifie de manière détaillée ses idées et suggère certaines méthodes pour bâtir une cohabitation apaisée entre les peuples autochtones et les colons ; elle propose de s’appuyer sur le soutien de l’armée et l’éducation des enfants, indifféremment de leurs origines raciales ou sociales. Winnemucca pose en effet les bases d’un nouveau paradigme éducatif, voire d’une utopie éducative, combinant des traditions numa et des savoirs occidentaux dans une sorte d’acculturation « avec profit »3 et d’enrichissement mutuel qui pourraient servir à atténuer les situations conflictuelles dues au contexte colonial. Il s’agira ainsi de voir dans quelles mesures Winnemucca elle-même, à travers sa vie et son engagement éducatif, incarne cet idéal, mais aussi comment des concepts tirés de l’épistémê numa peuvent éclairer et expliquer le parcours d’intellectuelle de Winnemucca.
3La première partie de cet article éclairera ses origines et sa formation intellectuelle dans le contexte particulier de la confrontation à la puissance coloniale américaine, entre respect des traditions numa et ouverture aux savoirs allogènes conformément à la volonté de son grand-père. Les écrits de Winnemucca, avant tout son autobiographie, ainsi que le recours à des documents d’époque et aux biographies qui lui ont été consacrées, serviront à poser le cadre contextuel et conceptuel de sa formation intellectuelle.
4La deuxième partie se concentrera sur la notion de « pouvoir », et notamment sur l’idée que l’accès au savoir, et à une variété de savoirs, permet l’accès à différentes formes de pouvoir, dont des pouvoirs d’expression et d’intervention dans le débat public. Outre les sources précédemment évoquées, seront utilisés les concepts numa de puha (pouvoir, force environnante) et de puha.gami, personnage important de la société numa en tant que shaman ou personne sachant maîtriser le puha, qui peuvent expliquer l’importance donnée par Winnemucca à l’accès à l’éducation. Cette partie sera aussi l’occasion de la situer dans un héritage intellectuel amérindien plus vaste, comme Warrior y invite.
5La troisième et dernière partie s’appuiera également sur le cadre historique de l’engagement intellectuel amérindien ainsi que sur le cadre épistémologique de la société numa pour faire ressortir l’intervention active de Winnemucca dans les débats de son temps et la défense de son peuple à la manière d’un nanikwikidi (héraut de la parole du chef) mettant l’accent sur des dysfonctionnements sociétaux pour proposer des solutions d’amélioration.
6La date de naissance de Winnemucca n’est pas connue avec certitude, comme celle de beaucoup de personnes vivant en marge de la société américaine ou échappant au recensement comme c’était alors le cas des peuples autochtones : « I was born somewhere near 1844, but am not sure of the precise time » est la première ligne de son autobiographie (p. 5). 1844 est la date conventionnellement retenue pour cette femme de la tribu des Paiutes du Nord, ou Numa ou Numu (« people », le peuple, les gens), née près du Lac Humboldt (ou Humboldt Sink), dans l’ouest du Nevada, qui deviendra le trente-sixième état des États-Unis en 1864. C’est dans cette région que vivait la bande dirigée par son grand-père, puis par son père à partir de 1860. Dans son autobiographie, Winnemucca tend à exagérer la position sociale de son grand-père, Trukizo ou Captain Truckee, et de son père, qu’elle présente comme les chefs « de la nation paiute toute entière » (Life, p. 5 et 67). Ils étaient tout au plus des poinabi (« headman » ou « leader »), chefs de la bande des Kuyuidika-a ou « mangeurs de cui-ui », en référence à un cyprinidé endémique au lac Pyramide, situé près du lac Humboldt. Son père fut connu sous le nom de Chief Winnemucca, qui signifie « le pourvoyeur (the giver) » ou « celui qui prend soin des Numa (one who looks after the Numa) ». C’est sous ce patronyme qu’une des filles qu’il eut avec sa femme Tuboitoni (Lettuce Flower) fut connue.
- 4 C’est cette fleur que le sculpteur Benjamin Victor, sur les conseils d’un botaniste, a décidé de lu (...)
7Sarah est un prénom qu’elle reçut dans les années 1850 lorsqu’elle vécut dans différentes familles américaines de Californie. Elle accola plus tard à son patronyme le nom de son mari américain, Lewis Hopkins, qu’elle épousa en 1881 à San Francisco. Elle le conserva après le décès de celui-ci en 1887 ; son autobiographie fut d’ailleurs publiée sous le nom de Sarah Winnemucca Hopkins. Dans cet ouvrage, elle s’attarde plus longuement sur son nom numa : Thocmetony, transcription de Tsome Tonega qui signifie « shell-flower », en référence à la fleur Tigridia pavonia (œil de paon ou fleur de tigre)4. L’emploi simultané de son nom numa et du nom sous lequel elle fut connue tend à faire ressortir les deux mondes, amérindien et anglo-américain, dans lesquels elle évolua toute sa vie durant.
8Winnemucca fut initialement élevée dans la peur des « Blancs » que ses parents dépeignaient comme des « bêtes » anthropophages ressemblant à des hiboux monstrueux :
He [son père] said they were not like "humans." They were more like owls […]. …we children had to be very good, indeed, […] for we were told that if we were not good they would come and eat us up.
(Life, p. 19-20, voir aussi p. 11-12, 25, 29, 37-38)
9Les premiers contacts qu’elle eut avec les colons américains contribuèrent à renforcer l’image globalement négative de la société américaine qu’elle intériorisa et qu’elle décrit comme une société gangrénée par le racisme, l’hypocrisie et la violence. Son point de vue évolua néanmoins. C’est avant tout par l’intermédiaire de son grand-père qu’elle modéra ses sentiments d’hostilité aux Blancs et qu’elle dépassa les clivages essentialistes.
- 5 Cette formule apparut dans la revue Council Fire en mai 1883 avec l’idée de la discréditer elle et (...)
10L’expérience de son grand-père qui participa à la conquête de la Californie mexicaine par les États-Unis dans les troupes du capitaine John Frémont en 1846 lui fit prendre conscience de la puissance technique et idéologique de la société anglo-américaine à laquelle il aurait été vain de s’opposer par la force, comme elle le rapporte dans les premières pages de son autobiographie. C’est la raison pour laquelle elle défendit la voie de la négociation pacifique, aussi laborieuse fut-elle, en s’opposant à toute forme de lutte armée. En ce sens, elle se montra fidèle à la promesse faite à son grand-père de chercher à vivre en paix avec leurs « frères blancs » et de s’allier aux Américains. Winnemucca mit donc ses actes en conformité avec ses principes, risquant plusieurs fois sa vie en intervenant au cours de différents conflits. En 1878, elle réussit à convaincre son père de cesser de participer, aux côtés des Bannocks, à la guerre contre les États-Unis. À plusieurs reprises, elle et son frère Natchez aidèrent des familles américaines à échapper à la vindicte d’Indiens en guerre. Winnemucca servit longtemps comme interprète et éclaireur pour l’armée américaine, dont elle ne cessa de faire l’éloge au cours de sa vie pour ses qualités de droiture et de désintéressement ; elle fut même qualifiée de « Amazonian champion of the army5 » tant elle utilisa l’image d’une armée modèle pour construire en contrepoint une vision négative des agents civils dont la gestion catastrophique des réserves entraînait conjointement la mort de milliers d’Amérindiens et le développement de sentiments de rancœur et d’hostilité pouvant à tout moment conduire à la guerre.
- 6 C’est ainsi que le général Howard, qui travailla avec Winnemucca, parle de la relation entre Sarah (...)
11C’est également Captain Truckee qui permit à sa petite-fille préférée qu’il appelait « sweetheart »6 de s’ouvrir à d’autres cultures et de faire l’expérience d’une forme de cosmopolitisme.
12Dans les années 1850, convaincu que les Numa devaient désormais s’habituer à vivre avec les Américains et selon leurs règles, il partit à plusieurs reprises en Californie accompagné de différentes familles numa, dont Thocmetony. Son but était de les familiariser avec les langues espagnole et anglaise ainsi qu’avec le mode de vie américain dont les prouesses technologiques l’impressionnaient. Au contact de différentes familles américaines de Californie et du Nevada (Roach, Ormsby, Scott) chez qui elle vécut, Winnemucca parvint ainsi progressivement à dépasser son appréhension des Blancs et à comprendre le fonctionnement de leur société. En 1859, son grand-père fit promettre sur son lit de mort à son fils d’envoyer Sarah étudier à l’école catholique de Notre Dame à San Jose (Californie, fondé par les Sœurs de Notre Dame de Namur en 1851) pour qu’elle approfondisse ses connaissances acquises lors de précédents séjours dans des familles américaines. Si elle affirme, dans différentes interview données à des journaux dans les 1870, être restée trois ans au début des années 1860, à San Jose ou dans sa succursale à Marysville, elle prétend au contraire dans son autobiographie avoir été exclue au bout de « trois semaines » car des parents s’étaient plaints de la présence d’Indiens à l’école (Life, p. 70).
13Quoi qu’il en soit, à l’âge d’une vingtaine d’années, Sarah Winnemucca connaissait plusieurs langues (l’anglais, l’espagnol, le paiute et d’autres langues amérindiennes) et avait appris à écrire en anglais, tout en ayant reçu une éducation biculturelle, de manière traditionnelle au sein de son peuple et en s’ouvrant (peut-être malgré elle) au mode de vie américain.
14Au chapitre II de son autobiographie, « Domestic and Social Moralities », Winnemucca insiste sur le soin mis par les familles numa dans l’éducation des enfants, sur les savoirs pratiques, théoriques, rituels et moraux transmis depuis des générations. L’éditrice de l’ouvrage, Mary Peabody Mann, envie même ce dévouement didactique : « The Indian children really get education in heart and mind, such as we are beginning to give now to ours for the first time » (Life, note 1 p. 51-52). Les savoirs pratiques concernant la nature accumulés par les peuples autochtones pourraient selon elle très bien se combiner à des compétences de lecture et d’écriture dans des échanges réciproques dont bénéficieraient Amérindiens et Américains.
15Winnemucca apparaît comme l’incarnation de cet idéal éducatif combinant des connaissances autochtones ancestrales à des savoirs nouveaux apportés par les colons. Les différentes capacités dont elle disposait pour évoluer dans un monde changeant peuvent être interprétées comme des formes de pouvoir ou, selon le concept numa, comme une maîtrise du puha, ce qui ferait donc de Winnemucca une sorte de puha.gami. Selon elle, la maîtrise de ces pouvoirs était accessible à tous grâce à une éducation basée sur une éthique pédagogique et sur des modèles inspirés des cultures autochtones.
16En mettant l’accent sur l’importance de l’éducation et des principes moraux dans la société numa, Winnemucca entendait s’attaquer à l’un des nombreux préjugés stigmatisant les Amérindiens comme des « sauvages », des « barbares », alors que leurs sociétés étaient construites sur des savoirs ancestraux patiemment transmis aux plus jeunes. Une vingtaine d’années plus tard, le Dakota Charles A. Eastman (ou Ohiyesa) tint des propos similaires :
It is commonly supposed that there is no systematic education of their children among the aborigines of this country. Nothing could be farther from the truth. All the customs of this primitive people were held to be divinely instituted, and those in connection with the training of children were scrupulously adhered to and transmitted from one generation to another. The expectant parents conjointly bent all their efforts to the task of giving the new-comer the best they could gather from a long line of ancestors.
(Eastman, C., 1902 : 49)
17Il se rappelle aussi avoir eu un éducateur très exigeant en la personne de son oncle Mysterious Medicine : « a strict disciplinarian and a good teacher » (1902 : 52). À l’instar de Truckee, le père d’Eastman pensait de manière quelque peu fataliste que les Amérindiens devaient s’habituer à vivre avec l’homme blanc et selon ses règles, et décida donc d’envoyer son fils étudier dans des écoles américaines.
18Le parcours de Winnemucca pourrait paraître exceptionnel, mais il doit être relativisé dans le sens où il est assez représentatif du destin de milliers d’enfants amérindiens ayant grandi au contact de la société coloniale. Comme elle, ces enfants avaient grandi dans des cultures autochtones très élaborées, riches de traditions multiples et dynamiques forgées au fil du temps, aux langues complexes, souvent ouvertes sur d’autres sociétés autochtones. Ils disposaient donc de toutes les facultés cognitives nécessaires pour apprendre de nouvelles langues, s’approprier de nouveaux savoirs, s’adapter à de nouvelles pratiques, et donc s’ouvrir à de nouvelles formations intellectuelles. À condition qu’on leur en laisse la possibilité et le temps, comme le soulignait la Omaha Susan La Flesche dans un article du Southern Workman de 1886.
We who are educated have to be the pioneers of Indian civilization. We have to prepare our people to live in the white man’s way, to use the white man’s books, and to use his laws if you will only give them to us. The white people have reached a high standard of civilization, but how many years has it taken them? We are only beginning; so don’t try to put us down, but help us climb higher. Give us a chance.
(La Flesche, S., 1886, p. 83)
- 7 Winnemucca, extrait d’un entretien paru dans le Chicago Daily Tribune, 03/03/1883. The Middle Five (...)
- 8 Il expose ses vues dans son autobiographie de 1768 ainsi que dans une lettre de 1791 (in Brooks, Jo (...)
- 9 Propos rapportés dans le journal Daily Alta California du 24/07/1886, cités par Elizabeth Peabody ( (...)
19S’instruire à l’école des Blancs fut considéré comme une chance par un grand-nombre de familles amérindiennes, que ce fût celle de La Flesche, d’Ohiyesa, ou de Thocmetony. Certains enfants parvinrent à achever des cycles d’études avancés et obtenir des situations sociales prestigieuses ; La Flesche et Eastman devinrent ainsi tous deux médecins. Cependant, pour la grande majorité des enfants amérindiens, ce fut une expérience traumatique pour au moins trois raisons : les écoles étaient la plupart du temps des internats (boarding schools) situés loin de leurs terres d’origine ; les enfants étaient plongés dans un univers concentrationnaire du jour au lendemain où ils subissaient un hiatus culturel ; ils devaient se soumettre à un programme éducatif destiné à les couper de leur identité amérindienne pour en faire de la main-d’œuvre docile bon marché. « Une farce de premier ordre » que Winnemucca dénonça en mars 1883, à l’instar de nombreux autres Amérindiens7. Dès le milieu du xviiie siècle, le Mohegan Samson Occom dénonça l’incapacité des enseignants anglo-américains à instruire efficacement les enfants autochtones, essentiellement pour des raisons de motivation et de méthode dues à une méconnaissance du fonctionnement des cultures autochtones, de la valeur accordée aux enfants au sein de ces sociétés, et surtout de l’ignorance de leurs langues ; le déterminisme racial ne pouvait être incriminé pour expliquer les échecs des élèves8. Dans un cadre adapté, ils étaient tout à fait capables d’assimiler des éléments de la culture dominante, en premier lieu sa langue et son système d’écriture alphabétique : « You have brains same as the Whites, your children have brains », affirma Winnemucca aux Paiutes d’Inyo County pour les inciter à envoyer leurs enfants à l’école9. C’est ce message qu’elle s’échina à répéter tout au long de sa vie, en se basant sur son expérience personnelle : comme apprenante, puis comme enseignante. Dans un article de 1886, elle écrivait ainsi :
- 10 « Indian Schools », The Silver State, 09/07/1886.
It seems strange that the government has not found out years ago that education is the key to the Indian problem. Much money and many precious lives would have been saved if the American people had fought my people with Books instead of Powder and lead. Education civilized your race and there is no reason why it cannot civilize mine. Indian schools are failures at many agencies, but it is not the fault of the children, but of the teacher and interpreter. […] The most necessary thing for the success of an Indian school is a good interpreter […]. I attribute the success of my school [le Peabody Institute] not to my being a scholar or a good teacher but because I am my own Interpreter, and my heart is in my work10.
(Winnemucca, S., 1886)
20Les méthodes préconisées par Winnemucca et d’autres enseignants autochtones (comme la patience et la bienveillance, le tâtonnement expérimental et l’entraide, l’apprentissage par la pratique et la mise en mouvement du corps, le droit à l’erreur) ont souvent précédé les théories réformistes de l’enseignement. Professeur allemand spécialiste des cultures amérindiennes, Bernd Peyer a par exemple indiqué que les méthodes pratiquées par Occom au milieu du xviiie siècle, en utilisant des lettres peintes sur bois pour apprendre l’alphabet ou en impliquant les élèves plus anciens comme tuteurs des plus jeunes, préfiguraient celles conseillées par Friedrich Froebel et Joseph Lancaster au xixe siècle (1998 : 32-37). Elizabeth Peabody nota également que les méthodes de Winnemucca « illustraient de manière surprenante les principes de la dite "nouvelle éducation" de Froebel » (1887 : 3-4). Peabody décrit ainsi les pratiques pédagogiques de Winnemucca :
She gave them [les enfants] always the initiative in conversation, as the kindergartners do their children, asking each to say something in Piute, and then telling them how to say it in English, writing in chalk upon the blackboard for them to imitate the leading words, and then find them in books. She says they never forget these words, but write them all over fences […], and tell their meaning in Piute to their parents, delighted and proud to display their acquisitions. The literary work is alternated with outdoor exercises in helping on the farm. […] She immediately began to exercise them in sewing on garments [...]; and the boys, wanting to do all that the girls did, have also become experts.
(Peabody, E., 1887 : 13)
21Une grande confiance est donc accordée aux enfants qui se trouvent guidés par des enseignants qui évoquent des « parents » bienveillants régissant une maison commune plus qu’une institution scolaire. Peabody décrit ainsi l’école de Winnemucca comme « un foyer élargi (enlarged home) duquel elle est reconnue comme la mère » (1887 : 73), sachant transmettre des connaissances intellectuelles et des savoirs pratiques. L’implication et la bonne volonté des enseignants et des enfants constituaient des facteurs déterminants de l’apprentissage.
- 11 En 1887, ce fut l’Ottawa Andrew J. Blackbird qui condamna la gabegie des fonds destinés à l’éducati (...)
22Dans son autobiographie, elle constatait déjà que les Numa évolueraient rapidement si les responsables des réserves étaient compétents et cherchaient réellement éduquer les enfants plutôt qu’à détourner l’argent, dont celui des enseignants, à leur profit : « you are wrong when you say it will take two or three generations to civilize my people. No! I say it will not take that long if you will only take interest in teaching us » (Life, p. 89)11.
- 12 Propos cités par Sally Zanjani, (2001 : 270). Chapin promouvait le mouvement des écoles maternelles (...)
23Le terme « civiliser » est ambigu, et nous verrons dans la partie suivante quelle utilisation subversive Winnemucca, comme d’autres intellectuels autochtones, a pu en faire. Elle lui permet ici de faire ressortir l’enthousiasme et les progrès scolaires rapides des enfants amérindiens dans les établissements où elle officia, comme dans l’école paiute de la réserve de Pyramid Lake en 1876, auprès d’élèves shoshones à Vancouver Barracks (Oregon) en 1881, ou dans la propre école qu’elle ouvrit et dirigea pendant quatre ans, de 1885 à 1889, à Lovelock (Nevada) sur le ranch de son frère Natchez. Elle nomma cette école Peabody Institue en hommage à Elizabeth Palmer Peabody (1804-94, sœur de Mary Mann) qui aida financièrement à la création et au maintien de l’école. Winnemucca fonda cette école afin d’empêcher que les enfants numa ne fussent envoyés dans des internats lointains (comme l’internat de Grand Junction au Colorado ou la Carlisle Indian School en Pennsylvanie). L’école lui permettait de dispenser aux enfants un enseignement adapté à leur culture et à leur langue d’origine, de les préparer à devenir des personnes autonomes, à l’aise dans la société anglo-américaine, indépendantes financièrement ; ceci leur éviterait d’être tributaires des maigres aides fédérales et soumises à la politique infantilisante des gestionnaires des réserves. L’école fonctionna bien, accueillant entre vingt-quatre et quarante-cinq enfants. En 1886, Alice Chapin, une enseignante américaine expérimentée et recommandée par Peabody, vint soutenir Winnemucca dans sa tâche. Elle ne tarit pas d’éloges sur le travail accompli, sur l’engagement de Winnemucca ni sur l’attitude des élèves paiutes âgés de six à seize ans qu’elle trouva très appliqués et « incontestablement supérieurs aux enfants blancs du même âge »12.
24Grâce à ce savoir, les enfants numa se trouvaient dotés de capacités les rendant potentiellement aptes à s’intégrer à la société dominante. Ce savoir, et avant tout l’écriture alphabétique en anglais, représentait également un pouvoir au sens de « force » à manipuler et à acquérir, une sorte de puha pour employer le terme numa.
25Dans son autobiographie, Winnemucca indique à plusieurs reprises que l’écriture représente pour les Numa l’une des choses les plus « belles (beautiful) » et « mystérieuses (mysterious) » que possède la « puissante (mighty) » nation des Blancs (Life, p. 18-19, 27, 43, 219). Le fait de pouvoir « parler sur le papier » faisait passer les Blancs pour des surhommes, comme l’affirmèrent des shamans ou puha.gami (« doctors and doctoresses ») à Captain Truckee dans les années 1840 :
If they can do this wonderful thing, they are not truly human, but pure spirits. None but heavenly spirits can do such wonderful things. We can communicate with the spirits, yet we cannot do wonderful things like them (Life, p. 19).
26Ils ajoutèrent aussitôt que les Blancs utilisaient leurs pouvoirs pour nuire aux Numa en les tuant, confirmant les prophéties rêvées quelque temps auparavant par un shaman et par le père de Winnemucca prédisant que les colons sèmeraient la souffrance, le malheur et la mort parmi les Numa (Life, p. 14-16).
- 13 Communication personnelle, email du 23/12/2019.
27Ces points de vue montrent qu’un pouvoir n’a pas de valeur positive ou négative en soi, mais peut être utilisé à des fins bénéfiques ou maléfiques : « individuals can use their powers for destructive purposes as well as good ones », comme l’indique Catherine Fowler13. C’est en ce sens que l’écriture peut être considérée comme un pouvoir, ou puha, un « concept fondamental pour comprendre les épistémologies » des Numa et des peuples du groupe linguistique uto-aztèque selon le Pahrump Paiute Richard Arnold et l’anthropologue américain Richard Stoffle. Ces derniers définissent le puha comme une force universelle circulant continuellement qui « connecte, déconnecte et reconnecte chaque élément de l’univers ». Ils précisent :
Puha exists throughout the universe but, like differences in human strength, Puha will vary in intensity from element to element, object to object, place to place. It varies in what it can be used for and it determines what different elements can do. Humans seek power through the identification and ceremonial use of places where Puha is concentrated (2006 : 5-6).
- 14 Ces expressions sont reprises à Frantz Fanon (L'an V de la révolution algérienne [1959], in Œuvres, (...)
28La capacité d’écrire pourrait apparaître comme la manifestation de ce puha, et les écoles comme l’un des lieux où se concentrerait ce pouvoir. La capacité à s’approprier et à utiliser cette forme de puha aurait fait de Winnemucca une puha.gami, ou shaman, bien qu’il ait été possible pour un individu d’entretenir des relations avec des sources de pouvoir sans pour autant devenir shaman, une fonction ouverte aussi bien aux hommes qu’aux femmes (Fowler, C. and S. Liljeblad, 1986 : 451). La capacité à maîtriser la forme de pouvoir que représentait le fait de s’exprimer en anglais à l’oral et à l’écrit était en tout cas à la portée des Amérindiens ; Winnemucca en était l’exemple vivant, et elle entendit faire bénéficier d’autres Amérindiens de ce pouvoir par son action d’enseignante. Elle était consciente des enjeux que représentait l’acquisition de ce pouvoir : comprendre les intentions (souvent malhonnêtes et criminelles) des Blancs et ne plus se laisser duper, savoir être autonome dans l’expression de sa pensée et ne plus dépendre d’interprètes incompétents ou manipulés, pouvoir exprimer son propre point de vue et le rendre accessible et intelligible aux locuteurs anglophones. Grâce à la maîtrise du pouvoir de l’écriture et de l’anglais, il s’agissait d’informer la société dominante sur la condition des Numa et le sort réservé aux premières nations par les autorités américaines. En bref, ne plus laisser « [s]a race opprimée (my down-trodden race) » (Life, p. 6) se faire rabaisser ni marginaliser, mais au contraire faire perdre à l’anglais son « coefficient d’hostilité » et son « caractère d’extranéité14 » pour affirmer son propre point de vue à et dans la société dominante. L’engagement de Winnemucca sur la scène politique et littéraire fait d’elle une « intellectuelle engagée », mais peut aussi être interprété selon le rôle du nanikwikidi dans la société numa.
29Le nanikwikidi (« repeater ») est un personnage présent dans certaines bandes paiutes, comme celle de la région de Pyramid Lake. Son rôle consiste à relayer la parole du poinabi (« leader ») « afin que tous puissent [l’]entendre et [la] comprendre » (Fowler, C. and S. Liljeblad, 1986 : 451).
- 15 « she can talk on paper, too », Life among the Piutes, op.cit., p. 142.
30Winnemucca n’a jamais revendiqué un tel titre, ni celui de puha.gami, et n’a sûrement jamais été considérée comme telle par ses pairs. Elle semble toutefois s’être fait le relai du message de son grand-père qui, voulant être fidèle à la parole donnée, exhorta les Numa à toujours vivre en paix avec leurs « frères blancs ». Winnemucca mit à plusieurs reprises sa vie en danger afin de vivre en conformité avec ce principe. Elle mit aussi ses pouvoirs acquis grâce à l’éducation, qui lui donnait notamment la capacité de s’exprimer à l’oral et à l’écrit dans la langue du colonisateur américain, au service d’une cause : celle de changer la perception négative et stéréotypique que la majorité des Américains avaient des peuples autochtones, ainsi que chercher à améliorer les conditions de vie de son peuple désormais sous emprise coloniale. En cherchant à comprendre l’origine de l’acharnement des colons envers les Amérindiens (le racisme structurel) et en militant pour trouver des solutions pacifiques à la nouvelle situation géopolitique posée par l’hégémonie coloniale en pays numa, Winnemucca a engagé une véritable réflexion sur la conception de l’être humain et les possibilités de coexistence entre des personnes de cultures différentes. Sa capacité à « pouvoir aussi parler sur le papier » l’engageait vis-à-vis des autochtones et de la société dominante, comme le lui fit remarquer le chef Bannock Jack en 187915.
31Life among the Piutes synthétise les points de vue exprimés par Winnemucca au cours de son existence, surtout depuis 1870 avec la parution d’une lettre qu’elle envoya le 4 avril au représentant du Bureau des Affaires Indiennes au Nevada, Henry Douglas, qui la transmit ensuite au Commissaire aux Affaires indiennes à Washington, l’Iroquois Ely Parker.
- 16 Cette lettre fut aussitôt publiée dans différents journaux (New York Times, Chicago Tribune, Harper (...)
32Cette lettre, que Winnemucca signe en tant que « femme pah-ute éduquée », peut être considérée comme son « J’accuse » fondateur. Elle y affirme que si les peuples autochtones obtenaient des terres où ils seraient souverains pour subvenir à leurs besoins comme des adultes autonomes, ainsi qu’ils l’avaient toujours fait jusqu’à l’arrivée des colons, où ils pourraient vivre en paix et recevoir une éducation pour s’accommoder de la nouvelle situation géopolitique, ils deviendraient « un élément de la communauté peu coûteux et respectueux des lois d’ici quinze à vingt ans »16.
33La réalité des faits s’avéra en totale contradiction non seulement avec ses aspirations, mais aussi avec les principes théoriques avancés par les colonisateurs pour justifier leur hégémonie au nom d’une mission évangélisatrice et civilisatrice. Warrior a souligné que les stratégies de coopération et d’adaptation pacifique prônées par les « intellectuels de la classe moyenne » autochtone adhérant aux idéaux démocratiques mis en avant par les autorités américaines se heurtèrent rapidement à la violence du terrain ainsi qu’à la réticence et à l’incapacité du gouvernement de protéger les intérêts des Premières Nations (Warrior, R.A., 1995 : 7 et 12-13). C’est donc une Winnemucca désenchantée qui dénonça cette hypocrisie ainsi que les multiples violences (physiques, morales, économiques…) subies par les Numa. Elle s’y sentait contrainte, à la fois par la promesse faite à son grand-père de rechercher une solution de coexistence pacifique avec les nouveaux arrivants, et par devoir pour faire connaître une réalité méconnue du grand nombre et passée sous silence : « Oh, it is a fearful thing to tell, but it must be told. It must be told by me » (Life, p. 77).
34Elle profita de son éducation et de sa connaissance du monde anglo-américain pour s’exprimer sur la scène locale et nationale et y faire entendre les griefs et les revendications de son peuple en particulier et des peuples autochtones en général.
- 17 Elle avança ses idées respectivement dans Life among the Piutes (p. 42, 47-48, 55), le Silver State(...)
35Winnemucca ne cessa de montrer ce que les Premières Nations subissaient « aux mains de leurs frères blancs » (Life, p. 89) et de critiquer la politique hégémonique et irrespectueuse des droits et de la vie des autochtones, à commencer par les Numa, qui vivaient jadis heureux mais qui connaissaient maintenant « l’enfer » sur terre : plutôt mourir, et être heureux au « pays des esprits (Spirit-land) », en disparaissant, en cessant de faire des enfants ou en se laissant massacrer, que de souffrir sur les réserves ; voire même quitter les États-Unis et y revenir en tant qu’immigrants car ceux-ci étaient « reçus à bras ouverts » et avaient au moins des droits17.
36Ces points de vue traduisent la profondeur du désespoir de Winnemucca consciente de l’impasse dans laquelle se trouvaient les Amérindiens et de son incapacité à faire évoluer la situation malgré les efforts déployés.
- 18 Le chef sauk Black Hawk s’inquiéta de la tendance des Blancs à oublier leurs promesses dans son réc (...)
- 19 Occom, pasteur presbytérien, exprima ces idées dans son sermon « Thou Shalt Love Thy Neighbor as Th (...)
- 20 Apess développa ses idées dans son autobiographie (la première jamais publiée par un Amérindien) A (...)
- 21 Également converti au méthodisme, Copway exprima ses idées dans son autobiographie The Life, Letter (...)
37Elle se demande quelle valeur accordée aux propos des Américains et des autorités coloniales qui se prennent pour des dieux en raison de leur puissance technologique, qui revendiquent d’agir au nom de principes chrétiens, mais qui font preuve d’un comportement diabolique en se montrant incapables de tenir leurs promesses et en maltraitant des « races » qu’ils considèrent comme inférieures. Comme d’autres Amérindiens avant elle, Winnemucca interroge non sans ironie les capacités de raisonnement des colons, handicapés par une propension à l’amnésie18 et une maîtrise déficiente de leur propre langue où signifiés, signifiants et référents n’ont plus de sens. L’exemple le plus flagrant qu’elle invoque à plusieurs reprises est celui du brouillage sémantique entre « sauvage » et « civilisé » ; elle se place ainsi dans la droite ligne de propos tenus par Occom, le Pequot William Apess ou l’Ojibwa (Anishnabe) George Copway. Comme Occom, pour qui les « prétendus chrétiens sont […] pires que les Indiens sauvages » qui, bien que païens, savaient appliquer des principes prônés par le christianisme (l'amour du prochain, la compassion le partage)19, Winnemucca se dit prête à endosser l'appellation de « sauvage » dans la mesure où elle refléterait la véritable nature des sociétés autochtones : accueillantes, généreuses, démocratiques, respectueuses des femmes, des enfants et des personnes de couleurs différentes, travailleuses, appliquant un code de conduite morale et des valeurs analogues à ceux édictés dans les dix Commandements. En référence au comportement des personnes qui revendiquent les titres de « civilisés » et de « chrétiens », ces termes deviennent pour Winnemucca les synonymes d'abjections les plus variées : avarice, cupidité, spoliation, cruauté, violence, mensonge, hypocrisie, paresse, lâcheté, lubricité, racisme, apostasie. Elle s'avoue donc convaincue que « l'enfer est rempli » de Chrétiens de cette trempe (Life, p. 239). Comme Apess, avec qui elle partageait la conversion à la religion méthodiste, et qui posa explicitement la question « Qui sont les sauvages ? » en dépeignant les colons selon l’image biblique de « loups déguisés en agneau »20, comme Copway qui les considérait comme des « visages blancs aux cœurs noirs » et une « nation pseudo-chrétienne »21 tardant volontairement à éduquer les Amérindiens, Winnemucca dénonce des « envahisseurs » qui se présentaient comme les « ennemis des sauvages » et promoteurs de « la grande civilisation » mais qui ne font que répandre la mort en laissant derrière eux des chemins rougis de sang et jonchés d’os (Life, p. 207). À l’instar de ces prédécesseurs algonquiens, elle se demandait si ce n’était pas les colons anglo-américains qui auraient besoin d’être éduqués en s’inspirant des cultures amérindiennes. Elle supputait par exemple que la politique des États-Unis vis-à-vis des peuples autochtones serait moins brutale si des femmes siégeaient au Congrès, de la même manière que les femmes avaient leur mot à dire dans les prises de décision dans la « tente du conseil » de sa tribu (Life, p. 53).
- 22 En 1921, ce fut Zitkala Ša qui fut appelée « la Jeanne d’Arc intellectuelle et spirituelle de [son] (...)
38La vie de Winnemucca est difficile à résumer tant le personnage fut complexe et engagé sur différents fronts. La défense des droits des Numa et des peuples autochtones constitua la ligne directrice et l’engagement de cette Jeanne d’Arc amérindienne, comme l’appela Elizabeth Peabody22. Souvent comparée de son vivant à Pocahontas, qu’elle incarna d’ailleurs dans un spectacle de « tableau vivant » en 1864 à San Francisco, Winnemucca défendit des idées et des méthodes qui furent et restent controversées, notamment en raison de son apologie de l’armée et – ce qui peut paraître contradictoire – de sa volonté de maintenir à tout prix la paix entre les Premières Nations et les colons américains, fidèle à la parole donnée à son grand-père. Ce fut grâce à lui qu’elle reçut une éducation ouverte sur d’autres cultures, en particulier la culture anglo-américaine. Winnemucca conçut rapidement l’éducation comme l’outil qui pourrait amener à une meilleure compréhension entre Amérindiens et colons américains. Elle-même se dévoua à cette tâche, non seulement en direction des enfants autochtones, mais aussi d’un auditoire américain. Sa maîtrise de l’anglais, à l’oral et à l’écrit, qui peut être interprétée comme l’acquisition d’un nouveau pouvoir ou puha, lui permit d’intervenir directement dans la défense des Numa et des peuples autochtones à une échelle locale et au niveau national à la manière des rôles attribués aux puha.gami et aux nanikwikidi dans la société numa. Ses conférences, ses interviews, ses écrits, témoignent de l’évolution de sa pensée, nourrie de différentes formes d’éducation et d’expériences vécues dans des milieux sociaux et ethniques divers. L’universitaire pueblo Paula Gunn Allen estimait de manière un peu radicale que l’histoire des Indiens d’Amérique du Nord s’écrivait surtout au masculin, que « l’Indien est toujours un il » et un héros, jamais une héroïne, qui combat et monte à cheval, négocie avec l’homme blanc, dénonce les injustices, a des fonctions de conseiller spirituel et de shaman. Allen ajoute que de nombreuses femmes pourraient prétendre à ce statut de personnage historique et d’héroïne autochtone, parmi lesquelles elle cite Sarah Winnemucca (1986 : 263), qui correspond aux cas de figure présentés. Allen dénonçait également la vision binaire souvent appliquée aux cultures et à l’histoire autochtones aux prises avec la société coloniale : « The world is seen in terms of antagonistic principles: good is set against bad, Indian against white, and tradition against cultural borrowing » (1986 : 134). Le parcours de vie de Winnemucca montre en effet une réalité plus complexe et moins figée que son engagement militant et éducatif semble bien incarner.